Lettre d'information 03 du 14 février 2021

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Le 14 février 2021

 

Vous pourrez vous intéresser dans cette lettre d'information aux thèmes suivants… Parmi les textes de loi… Un avis feutré du Conseil d'Etat sur la proposition de loi pour améliorer la santé au travail faisant néanmoins observations et suggestions… Une ordonnance prorogeant certaines dispositions, notamment relatives à la santé au travail, du fait de la prolongation de l'état d'urgence… Des jurisprudences… l'arrêt reconnaissant le préjudice d'anxiété lié à une exposition à d'autres produits toxiques que l'amiante…et la décision du Conseil d'Etat validant la possibilité de réalisation des visites d'information et de prévention initiales d'apprentis par des médecins de ville… Un Baromètre sur l'état psychologique des salariés français pendant la crise de la Covid 19…

 

Vous pourrez trouver, en pièce jointe, la veille juridique et législative, toujours très intéressante, de l'Inspection médicale du travail d'Ile de France. En outre, ce document fournit, à l'adresse ci-après, un répertoire des adresses utiles pour la santé au travail en Ile de France : http://idf.direccte.gouv.fr/sites/idf.direccte.gouv.fr/IMG/pdf/adresses_utiles_2021.pdf.

 

Je vous rappelle que vous pouvez accéder à mes lettres d’information depuis un an sur un blog à l’adresse suivante : https://bloglettreinfo.blogspot.com/.

 

·     Textes de loi, réglementaires, circulaires, instructions, questions parlementaires, Conseil d'Etat

 

Avis sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail

L'Assemblée nationale a permis de rendre public l'avis du 4 février 2021 du Conseil d'Etat sur " la proposition de loi pour renforcer la santé au travail ". Un avis feutré du Conseil d'Etat qui fournit des " observations et suggestions " pour améliorer certaines dispositions qui ne lui apparaissent pas tout à fait conformes aux textes en vigueur. Vous pourrez accéder à cet avis en pièce jointe et sur le site du Conseil d'Etat à l'adresse en fin de ce commentaire.

Dans les parties de ce texte que j'ai reprises, j'ai conservé la numérotation de l'avis du Conseil d'Etat.

Les limites de la loi et du règlement

" 7. S’agissant de la répartition des compétences entre la loi et le règlement sur le fondement des articles 34 et 37 de la Constitution, il y a lieu de rappeler que seules appellent en principe l’intervention du législateur les dispositions qui relèvent de l’une des matières énumérées à l’article 34 ou qui dérogent à un principe général du droit.

8. L’essentiel des dispositions de la proposition de loi relèvent du droit du travail dont il appartient au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de déterminer les principes fondamentaux. Il n’incombe ainsi pas au législateur, en matière de santé au travail, de déterminer les modalités pratiques, notamment en termes de périodicité, selon lesquelles s’effectuent les interventions de la médecine du travail (CE, 19 juillet 2017, CGT-FO, n° 408377).

9. Le Conseil d’Etat observe que plusieurs articles de la proposition de loi rehaussent au niveau législatif, en reprenant parfois pour partie les mêmes termes, des dispositions relevant de la partie réglementaire du code du travail. Tel est le cas notamment pour la visite de pré-reprise (article 18) ou les modalités selon lesquelles le médecin du travail peut confier certaines de ses missions aux autres membres de l’équipe pluridisciplinaire (article 24). De tels rehaussements avaient déjà été opérés, par touches successives, par la loi du 20 juillet 2011, en ce qui concerne l’organisation des services de santé au travail, et par la loi du 8 août 2016, en ce qui concerne le suivi individuel de l’état de santé.

10. Si, pris isolément, plusieurs des rehaussements opérés par la proposition de loi présentent une réelle justification par rapport à ces précédents, il en résulte néanmoins une ligne de partage entre loi et règlement peu cohérente, des éléments substantiels liés au fonctionnement des SST, à la nature des examens obligatoires ou au statut des infirmiers de santé au travail demeurant définis par décret. "

Document unique d'évaluation des risques professionnels et programme annuel de prévention

" 19. L’article 2 de la proposition de loi rehausse au niveau législatif l’existence du document unique d’évaluation des risques professionnels, document qui transcrit les résultats de l’évaluation que doit mener l’employeur en application de l’article L. 4121-3 du code du travail. Il fusionne ce document avec le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail prévu à l’article L. 2312-27 du même code.

20. Cette fusion porte sur deux documents dont l’objet et le champ sont différents. Le Conseil d’Etat relève, en premier lieu, que le programme annuel s’inscrit dans le cadre de la consultation sur la politique sociale prévue à l’article L. 2312-26 du code du travail dont l’objet ne porte pas uniquement sur la prévention des risques professionnels mais également, comme l’indique l’intitulé du programme annuel, sur les conditions de travail. Il suggère que la mention de l’amélioration des conditions de travail soit réintroduite à l’article L. 2312-27 du code du travail. Il constate, en second lieu, que la consultation sur la politique sociale n’est aujourd’hui prévue que dans les entreprises de cinquante salariés au moins. La proposition de loi a donc pour effet de rendre obligatoire l’adoption d’un programme annuel de prévention des risques professionnels dans les entreprises d’un effectif inférieur. Le Conseil d’Etat considère que cette mesure nouvelle, qui s’imposera à un très grand nombre de petites et très petites entreprises, est justifiée par l'objectif de protection de la santé des travailleurs qu’elle poursuit. Il note, en outre, que l’article L. 4121-3 du code du travail permet à un décret en Conseil d’Etat d’adapter la périodicité de la mise à jour du document unique dans les entreprises de moins de onze salariés.

21. La proposition de loi assigne un nouvel objet au document unique d’évaluation des risques professionnels qui devra « organiser la traçabilité collective des expositions ». Le Conseil d’Etat observe que cette traçabilité est assurée par la conservation des versions successives du document, que la proposition de loi impose conformément aux prévisions de l’accord national interprofessionnel. Il suggère d’indiquer que le document « assure » la traçabilité collective des expositions, pour éviter que la disposition ne soit lue comme imposant des mesures d’organisation dont la nature n’est pas précisée dans le texte.

22. Enfin, il est prévu que le comité social et économique apporte sa contribution à l’analyse des risques dans l’entreprise. Il conviendrait de préciser l’articulation de cette contribution avec les attributions reconnues au comité par le 1° de l’article L. 2312-9 du code du travail, aux termes duquel il « procède à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs, notamment les femmes enceintes, ainsi que des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4161-1 ». "

Elargissement des missions des services de santé au travail à de la santé publique

" 24. L’article 4 élargit le champ des missions dévolues aux services de santé au travail. Afin de décloisonner les champs de la santé publique et de la santé au travail, il prévoit notamment que les services de santé au travail « participent à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage ». Le Conseil d’Etat observe que cette disposition n’est pas pleinement cohérente avec la règle générale fixée au premier alinéa de l’article L. 4622-2 selon laquelle les services de santé au travail « ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Il estime qu’il conviendrait donc soit de préciser que la nouvelle mission s’exerce dans la limite définie au premier alinéa, soit de modifier cet alinéa pour remplacer le terme « exclusive » par le terme « principale ». "

Nécessité d'une base légale pour l'agrément des SST

" 30. L’article 8 de la proposition de loi soumet les services de santé au travail interentreprises (SSTI) à une obligation de certification par des organismes indépendants, sur la base d’un référentiel reposant notamment sur des indicateurs de qualité de service. Le Conseil d'Etat estime qu'aucun obstacle juridique ne s'oppose à cette évolution visant à répondre à des exigences de protection de la santé publique. Il s'interroge cependant sur le devenir de la procédure d'agrément des SSTI prévue par les dispositions réglementaires (articles D. 4622-48 et suivants du code du travail). Les auteures de la proposition de loi ayant fait part au Conseil d’Etat de leur souhait de privilégier le maintien d'une procédure d'agrément et la prise en compte des résultats de la certification par la décision administrative, le Conseil d’Etat note qu’un tel schéma impose de donner une base légale au principe même de l'agrément. "

Accès au dossier médical partagé par les médecins du travail

" 37. La création du dossier médical personnel, devenu le dossier médical partagé, a été validée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle répondait aux « exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à la protection de la santé, qui implique la coordination des soins et la prévention des prescriptions inutiles ou dangereuses, qu'à l'équilibre financier de la sécurité sociale » (décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, cons. 5).

38. L’octroi au médecin du travail, dont le rôle est exclusivement préventif, de la faculté de consulter le dossier médical partagé du salarié se présente à cet égard de manière différente. Cette faculté lui permettra cependant d’avoir une image plus complète de l’état de santé du salarié, pour assurer sa protection, celle de ses collègues et celle des tiers, en facilitant la communication d’informations médicales avec les autres professionnels de santé, qui est aujourd’hui possible sur le fondement de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique. Elle répond à un objectif d’amélioration de la prévention qui entre dans les finalités du dossier médical partagé énumérées à l’article L. 1111-14 du même code.

39. En revanche, le salarié ne bénéficie pas du libre choix du médecin du travail ou du professionnel du service de santé au travail qui assure son suivi. Les conditions dans lesquelles un salarié peut être amené à consentir à ce que le professionnel de santé au travail accède à son dossier médical partagé apparaissent ainsi très différentes de celles dans lesquelles il peut donner un tel consentement en médecine de ville ou lors d'une prise en charge hospitalière. Enfin le dossier médical partagé contient des informations médicales, le cas échéant très anciennes, qui ne sont pas toutes nécessaires à l’exercice des missions de la médecine du travail.

40. Le Conseil d’Etat relève toutefois que la proposition de loi entoure de garanties l’accès au dossier médical partagé dans le cadre de la médecine du travail. En premier lieu, s’appliquent les garanties propres au dossier médical partagé, dont chaque titulaire peut refuser l’ouverture, rendre certaines informations inaccessibles ou interdire l’accès à certains professionnels de santé, à l’exception du médecin traitant (articles L. 1111-15, R. 1111-38 et R. 1111-41 du code de la santé publique). En deuxième lieu, la proposition de loi limite l’accès au dossier médical partagé aux seuls professionnels de santé au travail intervenant dans le suivi de l’état de santé du salarié. Ces professionnels exercent sous l’autorité du médecin du travail dont les conditions d’indépendance professionnelle, notamment vis-à-vis de l’employeur, sont garanties par la loi (art. L. 4623-8 du code du travail). En dernier lieu, la proposition de loi subordonne la possibilité pour le professionnel de santé au travail d’accéder au dossier médical partagé du salarié au recueil préalable du consentement de l’intéressé.

41. Le Conseil d’Etat estime nécessaire de compléter ces garanties en prévoyant qu’aucune conséquence ne saurait être tirée du refus du salarié d’autoriser le médecin du travail à accéder à son dossier médical partagé. Il recommande en outre que les informations dont le médecin du travail prend connaissance en consultant le dossier médical partagé du salarié soient exclues de celles qu’il est tenu, en cas de litige, de communiquer au médecin mandaté par l’employeur, en application de l’article L. 4624-7 du code du travail, mesure qui assurerait une conciliation entre le droit au respect de la vie privée et le principe du contradictoire.

42. Le Conseil d’Etat prend acte de ce que les auteures de la proposition de loi ont indiqué qu’elles entendaient amender le texte notamment en limitant l’accès au dossier médical partagé au seul médecin du travail, à l’exclusion par conséquent des autres professionnels de santé au travail, en subordonnant la certification prévue à l’article 8 à des critères liés à la protection des données de santé et en précisant que l’employeur ne pourra pas avoir connaissance du refus du salarié d’autoriser l’accès à son dossier médical partagé.

43. Le Conseil d’Etat considère que, compte tenu de cet encadrement, la disposition ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle… "

Intégration du dossier médical en santé au travail au dossier médical partagé

L'article 51 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a prévu qu’à compter du 1er juillet 2021, le dossier médical en santé au travail serait intégré au dossier médical partage, le médecin du travail pourrait uniquement y déposer des documents (voir la future rédaction de l'article L. 4624-8 du Code du travail après cette loi).

" 45. Le Conseil d’Etat relève tout d’abord que les caractéristiques des deux dossiers sont différentes. Le dossier médical partagé est un dossier numérique rattaché à une personne et rassemblant des données structurées et ordonnées. Le dossier médical en santé au travail est rattaché à un médecin du travail et ne suit pas le salarié. Il n’est pas nécessairement numérique et son contenu peut être assez disparate d’un service de santé au travail à l’autre, en l’absence d’encadrement réglementaire.

46. Il rappelle ensuite que certaines informations figurant habituellement dans les dossiers médicaux en santé au travail et relatives par exemple à l’employeur du salarié ou à leurs relations de travail ne relèvent pas de la logique ayant présidé à la création du dossier médical partagé. Il considère que permettre à tout professionnel de santé d’y avoir accès porterait au droit au respect de la vie privée une atteinte qui n’est pas justifiée par l’objectif de protection de la santé. Il estime donc nécessaire de prévoir dans la loi que, parmi les informations figurant dans le dossier médical en santé au travail, seules celles nécessaires au développement de la prévention ainsi qu’à la coordination, la qualité et la continuité des soins sont versées au dossier médical partagé de l’intéressé. Par souci de clarté, il propose en outre de faire mention du dossier médical en santé au travail à l’article L. 1111-15 du code de la santé publique, qui énumère les différentes sources d’alimentation du dossier médical partagé.

47. Il note enfin que dès lors que le dossier médical partagé est alimenté par le dossier médical en santé au travail, il n’apparaît pas nécessaire d’indiquer que ce dernier est accessible aux professionnels de santé participant à sa prise en charge en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 du code de la santé publique, sauf à donner à ces derniers accès à des informations qui ne seraient pas versées au dossier médical partagé. 48. Le Conseil d’Etat relève enfin que la mise en œuvre de la réforme implique d’importants travaux de rapprochement des systèmes d’information qui rendent peu probable la perspective d’une entrée en vigueur le 31 mars 2022, comme le prévoit la proposition de loi. "

Visites de reprise et de pré-reprise

" 58. L’article 18 précise que lorsque le salarié est en arrêt de travail, la suspension du contrat de travail ne fait pas obstacle à l’organisation d’un « rendez-vous de préreprise ». Le texte n’indique pas quel est l’objet de ce rendez-vous ni qui peut en être à l’initiative. Il prévoit que l’employeur peut informer le salarié sur certaines dispositions légales relatives à la reprise du travail après un arrêt, ce qui est possible même sans texte. Le Conseil d’Etat suggère de préciser qui peut prendre l’initiative d’un tel rendez-vous et, dans l’hypothèse où cette possibilité est reconnue à l’employeur, d’indiquer qu’aucune conséquence ne peut être tirée du refus du salarié de se rendre à un tel entretien qui ne peut intervenir que pendant une période pendant laquelle le contrat de travail est suspendu.

59. L’article 18 rehausse en outre au niveau législatif l’existence des visites de préreprise et de reprise. Il prévoit que la première, qui est facultative, doit être réalisée par un médecin du travail tandis que la seconde, qui est obligatoire, peut l’être par un professionnel de santé au travail. La visite de reprise ayant pour objet de s’assurer que l’état de santé du salarié lui permet de rejoindre son poste et pouvant, à ce titre, déboucher sur un avis d’inaptitude, le Conseil d'Etat estime qu'elle ne devrait pouvoir être effectuée que par des professionnels dont les missions les autorisent à réaliser une analyse clinique et à formuler un diagnostic. "

Dispositions relatives aux professionnels de santé

Ces disposition sont mentionnées aux articles 21, 23 et 24 de la proposition de loi.

" 61. Pour pallier le déficit structurel de médecins du travail et recentrer les missions de ces derniers sur les actions de prévention en milieu de travail, la proposition de loi comporte plusieurs dispositions qui tendent à confier à d’autres professionnels de santé une partie des missions qui leur sont normalement dévolues :

- le service de santé au travail pourra ponctuellement faire appel aux services d’un médecin de ville pour réaliser certaines visites médicales (article 21) ;

- l’infirmier de santé au travail, de même que les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire pourront se voir déléguer certaines missions du médecin du travail, au vu de leur qualification. La proposition de loi ouvre également la possibilité d’un exercice des infirmiers en pratique avancée dans le domaine de la prévention et de la santé au travail (articles 23 et 24).

62. Le Conseil d'Etat rappelle que, dans la définition des missions et des compétences des professionnels de santé, il appartient au législateur de ne pas priver des garanties légales les exigences constitutionnelles qui s’attachent au droit à la protection de la santé, protégé par le onzième alinéa du Préambule de 1946 (n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, cons. 8, 11, 29 ; décision n° 2011-123 QPC du 29 avril 2011, cons. 3). Le Conseil constitutionnel reconnaît néanmoins au législateur, en matière de protection de la santé, un large pouvoir d’appréciation : il appartient au législateur de déterminer les modalités de la mise en œuvre de ce droit (décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, cons. 17).
Le Conseil d’Etat rappelle également que l’article 7 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 impose aux Etats membres que les personnes et les services extérieurs auxquels recourent les entreprises pour organiser la prévention « doivent avoir les aptitudes nécessaires et disposer des moyens personnels et professionnels requis » (art. 7, §5) et que « le(s) travailleur(s) et/ou le(s) service(s) doivent collaborer en tant que de besoin » (art. 7, §6).

63. Bien que cette mesure participe également à une meilleure protection des travailleurs en ce qu’elle permet de répondre, notamment dans les territoires les moins bien pourvus, à la pénurie de ressource médicale, le Conseil d’Etat considère que le fait de confier à un médecin de ville non spécialement formé ou à des infirmiers une partie des missions dévolues au médecin du travail n’est pas sans incidence sur le degré de protection des travailleurs, compte tenu, d’une part, des compétences particulières que confèrent au médecin du travail sa formation, son expérience et sa connaissance des effets des expositions aux risques professionnels, de l’organisation des entreprises et des postes de travail et, d’autre part, des garanties d’indépendance dont il bénéficie du fait de son statut de salarié protégé (art. L. 4623 5).

64. Le Conseil d’Etat relève que la proposition de loi apporte plusieurs encadrements substantiels de nature à répondre en partie à ce risque. En ce qui concerne le médecin praticien correspondant, le texte impose une formation en médecine du travail et limite son champ de compétence à la réalisation du suivi individuel de l’état de santé, à l’exclusion des salariés faisant l’objet d’un suivi individuel renforcé et donc particulièrement exposés à des risques professionnels. En outre, aucune des dispositions relatives au médecin praticien correspondant comme aux délégations de missions aux membres de l’équipe pluridisciplinaire n’ont pour objet ou pour effet de les habiliter à proposer des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail, ni à prononcer des avis d’inaptitude, ces prérogatives demeurant de la seule compétence du médecin du travail (art. L. 4624-3 et L. 4624-4).

65. Le Conseil d’Etat estime néanmoins qu’il serait opportun de compléter l’article 21 par les précisions suivantes. En premier lieu, le médecin du travail, qui n’est pas mentionné dans l’article 21, devrait être étroitement associé à la définition du périmètre des missions dévolues au médecin praticien correspondant, lesquelles devraient être exercées, si ce n’est sous son autorité, au moins « en lien » avec lui. En second lieu, la loi pourrait renvoyer à un décret en Conseil d’Etat la détermination des règles d’incompatibilité.

66. Le Conseil d’Etat s’est interrogé sur la portée de l’article 24 relatif aux délégations de missions du médecin du travail. Il considère que les missions déléguées aux membres de l’équipe pluridisciplinaire et, en particulier, à l’infirmier devraient demeurer, comme le prévoient les textes réglementaires actuels, exercées sous l’autorité du médecin du travail et dans la limite des compétences reconnues à chaque catégorie de professionnel de santé concerné par le code de la santé publique. Pour les mêmes motifs, une délégation de la mission « de coordination et d’animation » de l’équipe pluridisciplinaire (article 24, 1°, a) ne devrait être envisagée, comme l’autorise d’ailleurs déjà la rédaction actuelle de la loi, que de manière ponctuelle et partielle, et sous la responsabilité du médecin du travail. Les nouvelles missions dévolues au directeur du service de santé au travail interentreprises (article 24, 2°) devraient également s’entendre dans la limite de celles confiées au médecin du travail. Ces considérations conduisent le Conseil d’Etat à privilégier une suppression de l’article 24, au bénéfice de précisions à apporter par voie réglementaire.

67. Par ailleurs, le Conseil d'Etat considère que l’obligation faite, à l’article 23, aux infirmiers de disposer d’une formation qui sera définie par décret, selon un format sans doute renforcé, appellerait une mesure transitoire à l’article 29, dès lors que cette obligation n’aurait vocation qu’à s’appliquer qu’au flux des nouveaux recrutements, sauf à prévoir des règles d’équivalence tenant compte par exemple de l’expérience passée. "

https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-la-proposition-de-loi-pour-renforcer-la-prevention-en-sante-au-travail

 

Ordonnance n° 2021-135 du 10 février 2021 portant diverses mesures d'urgence dans les domaines du travail et de l'emploi

Cette ordonnance est fondée sur les dispositions de l'article 10 de la loi 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant à prendre ou à rétablir par ordonnance, jusqu'au 16 février 2021,  des mesures, en lien avec l'état d'urgence sanitaire, prévues dans des textes de loi. Ceci en conséquence d'une nouvelle prolongation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021 votée à l'Assemblée nationale le 9 février 2021.

L'ordonnance comprend trois articles.

L'article 1 prévoit la prolongation, jusqu'au dernier jour du mois civil où survient la fin de l'état d'urgence, de l'indemnisation des demandeurs d'emploi dont les droits sont arrivés à expiration.

L'article 2 prolonge, jusqu'au 31 décembre 2021, la possibilité pour le gouvernement de moduler les taux horaires de l'activité partielle en fonction des secteurs d'activité, comme cela était permis par l'ordonnance n° 2020-770 du 24 juin 2020.

L'article 3 a trait à la santé au travail et modifie l'ordonnance n° 2020-1502 du 2 décembre 2020.

Ainsi, sont prolongées jusqu'au 1er août 2021 (au lieu du 16 avril 2021) les disposition suivantes, concernant les services de santé au travail et les médecins du travail, mentionnées respectivement du 1° et du 2° de l'ordonnance du 2 décembre 2020 :

ü " L'appui aux entreprises dans la définition et la mise en œuvre des mesures de prévention adéquates contre ce risque [la Covid-19] et dans l'adaptation de leur organisation de travail aux effets de la crise sanitaire ainsi que la participation aux actions de dépistage et de vaccination définies par l'Etat. "

ü l'autorisation dérogatoire pour le médecin du travail de prescrire des arrêts de travail pour des sujets suspects ou atteints par la Covid-19, de rédiger des certificats médicaux permettant le placement des personnes vulnérables en activité partielle ainsi que de prescrire et de réaliser de tests de détection du Sars-CoV-2.

L'article 3 de l'ordonnance du 2 décembre 2021 est modifié pour permettre le report d'un an des visites médicales en santé au travail qui doivent avoir lieu jusqu'au 2 août 2021 (alors que c'était auparavant jusqu'au 17 avril 2021) ;

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043114120

 

·     Jurisprudence 

Le préjudice d'anxiété peut être pris en compte pour des expositions autres que celle à l'amiante

La décision de la cour d'appel de Douai du 29 janvier 2021 marque une date importante en ce qui concerne la prise en compte du préjudice d'anxiété de mineurs de charbon qui ont été exposés à diverses substance toxiques pour la santé. Et surtout, cela ouvrira peut être la voie à une amélioration de la prévention de ces expositions pour tous les salariés exposés à des produits dangereux.

Vous pourrez trouver, en pièce jointe, un pdf rassemblant plusieurs articles au sujet de l'action en justice des mineurs.

Pour comprendre l'importance de ce dernier jugement, il faut remonter en arrière.

La Cour de cassation a reconnu un quasi-systématique préjudice d'anxiété pour tous les salariés ayant travaillé ou travaillant dans des établissements figurant sur la liste des entreprises ouvrant droit à l'Allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) du fait des risques que l'exposition à l'amiante faisait courir à leur santé. Ceci à partir d'un arrêt du 11 mai 2010 (Cass. Soc., pourvois n° 09-42241 à 09-42257, publié au bulletin d'information de la Cour de cassation – 3e moyen).

Cette reconnaissance systématique du préjudice d'anxiété pour les salariés pouvant bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l' amiante se retrouve les années suivantes dans des arrêts tels que celui du 2 avril 2014 (Cass. Soc. pourvois n° 12-28616 à 12-28636) publié au Bulletin où la Haute juridiction réaffirme que " les salariés avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, en sorte qu'ils pouvaient prétendre à l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété ".

En revanche, pas de reconnaissance de ce préjudice d'anxiété pendant des années pour les salariés des entreprises ne figurant pas dans la liste de l'arrêté ministériel, comme le montre cet arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 janvier 2017, (Cass. Soc. pourvois n° 15-50080 à 15-50091, publié au Bulletin) où l'indemnisation du préjudice d'anxiété avait été refusée à des salariés ayant travaillé, en tant que sous-traitants, dans une entreprise dont les salariés bénéficiaient de l'ACAATA.

Puis la Haute juridiction a effectué un revirement de jurisprudence dans un arrêt en Assemblée plénière du 5 avril 2019 (Assemblée plénière, pourvoi n° 18-17442) en permettant d'accorder le bénéfice du préjudice d'anxiété à des salariés exposés à l'amiante même si leur entreprise n'était pas comprise dans la liste des entreprises dont les salariés pouvaient bénéficier de l'ACAATA, et même pour des sous-traitants d'entreprises inscrites sur la liste.

Le jugement de la cour d'appel de Douai du 29 janvier 2021 est l'aboutissement – sauf en cas de pourvoi en cassation de l'Etat – d'un long périple judiciaire.

Les faits - Je m'appuie pour cela sur l'un des 726 jugements rendus par la cour d'appel de Douai après l'audience de jugement du 9 septembre 2020 (il y avait 727 dossiers mais l'un des mineurs ayant fait appel est décédé en octobre 2020, ce qui fait qu'il y a eu 726 reconnaissances du préjudice d'anxiété). Vous pourrez lire cet arrêt anonymisé en pièce jointe.

Le parcours juridique de cette odyssée a débuté le 5 juin 2013 par la saisine du conseil de prud'hommes de Forbach afin de faire constater que 834 mineurs de fond de charbon de Lorraine avaient été exposés à l'inhalation de substances dangereuses et que leur employeur avait manqué à l'obligation de sécurité de résultat et, ainsi, plus de 800 salariés demandaient réparation du manquement à cette obligation et l'indemnisation du préjudice d'anxiété. Le conseil de prud'hommes de Forbach reconnaît le manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité et le préjudice d'anxiété qu'il indemnise de 1000 € pour chaque mineur. [NDR – En 2013, l'obligation de sécurité de résultat n'avait pas encore été amoindrie par un arrêt de la Cour de cassation de 2015, dit arrêt Air France, ramenant cette obligation à une obligation de moyen renforcée – Cass. Soc. du 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24444, publié au Bulletin et sur le site de la Cour de cassation.]

Le liquidateur des Charbonnages de France a fait appel du jugement ainsi que les mineurs qui considèrent la réparation insuffisante. [NDR - Initialement, les mineurs de charbon dont on parle travaillaient pour les Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) qui ont fermé en 2004. Les Houillères du Bassin de Lorraine, établissement public industriel et commercial, ont été dissoutes le 29 février 2004 et leur patrimoine transféré à Charbonnages de France qui resta le seul établissement des Houillères en France. Charbonnages de France a été dissous en 2007, l'Etat prenant à sa charge ses dettes.]

La cour d'appel de Metz, dans un arrêt du 7 juillet 2017 infirme le jugement du tribunal des prud'hommes.

Les mineurs se pourvoient en cassation. La Cour de cassation, dans son arrêt du 11 septembre 2019, publié au Bulletin, indique que " En se déterminant ainsi [en déboutant les mineurs], par des motifs insuffisants à établir que l’employeur démontrait qu’il avait effectivement mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, telles que prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, la cour d’appel, qui devait rechercher si les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’employeur telles que définies aux paragraphes 3 et 4 étaient réunies, n’a pas donné de base légale à sa décision. " La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Metz et renvoie l'affaire devant la Cour d'appel de Douai.

C'est l'objet de ce commentaire.

Les mineurs font valoir qu'ils ont été exposés, du fait de leur activité, à de très nombreuses substances toxiques, parmi lesquelles des poussières minérales, du charbon, de la silice, des poussières de roche, aux fumées des tirs à l'explosif, aux gaz d'échappement des engins fonctionnant au Diesel, à différents solvants, dont les solvants chlorés pour le nettoyage des machines, aux hydrocarbures aromatiques dont le benzène, le toluène, aux huiles minérales, etc… Substances dont un certain nombre sont cancérogènes.

Les mineurs indiquent que l'employeur était informé de la dangerosité de ces produits car ils figurent dans des tableaux de maladies professionnelles.

Cependant, les mineurs indiquent l'absence de mise en œuvre de mesures de protection pour réduire ou éliminer l'exposition à ces substances.

Ainsi, la direction des houillères a imposé des références d'empoussiérage trois fois supérieures à celle préconisée par le médecin chef du service de médecine du travail afin de ne pas entraver la production.

De plus, les équipement de protection individuelle, d'une part ont été fournis de façon insuffisante et, d'autre part, ils étaient de qualité médiocre, ne permettant pas une bonne protection contre l'empoussièrement qui était important.

Le liquidateur de Charbonnages de France indique que l'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité s'il a pris toutes les mesures pour prévenir les risques professionnels et assurer la sécurité des salariés.

Et il précise que des mesures ont été mises en œuvre pour éviter l'empoussiérage (ce qui sera démenti par un témoignage d'un prestataire extérieur qui a constaté que, malgré ces mesures, l'empoussiérage au fond était important). De même le personnel aurait été formé à la prévention.

Il indique aussi que des campagnes de dépistage des pneumoconioses ont été mises en œuvre, que l'empoussiérage faisait l'objet de mesures régulières, que des masques étaient mis à la disposition des mineurs, que le service de médecine du travail suivait l'état de santé des mineurs, etc…

Dans leur motivation, les juges font référence aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

Ils rappellent qu'au titre de ces articles, l'employeur devait mettre en œuvre toutes les mesures de prévention susceptibles de protéger la santé des salariés.

Or des témoignages attestent que, malgré les mesures indiquées par le liquidateur, les mineurs se trouvaient dans un environnement de travail exposé aux poussières de charbon, de rocher, d'amiante, aux fumées de tir, aux gaz d'échappement des locomotives, etc…

Ainsi, les juges considèrent que les mesures mises en œuvre étaient insuffisantes pour empêcher la diffusion des poussières soulevées du sol par le travail d'abattage.

De même, ils constatent, selon des témoignages de mineurs, que la protection individuelle par la mise à disposition de masques, du fait de l'insuffisance de leur nombre et de la saturation rapide du masque par les poussières, était rapidement inopérente (il aurait fallu en changer quatre ou cinq fois dans la journée alors qu'ils étaient fournis de façon insuffisante).

Ils en concluent que les masques fournis par l'employeur étaient inadaptés et insuffisants en nombre pour assurer une protection efficace.

Au final, pour l'arrêt que nous avons pris en compte, les juges considèrent que " Attendu que l’exposition de l’appelant à l’inhalation de poussières de bois, de charbon et de rocher, de particules d’amiante, de fumées de locomotive diesel, d'émanations de produits et de liquides toxiques générait un risque élevé de développer une pathologie grave ; que plus de trois cents collègues de l’appelant ont été atteints d’une maladie professionnelle reconnue, consécutive à l’inhalation de ces poussières, des peintures aux braies, des huiles et du trichloréthylène présents dans les établissements et les puits exploités par les HOUILLERES DU BASSIN DE LORRAINE, onze d’entre eux étant décédés à ce jour ; que le risque de développer une telle maladie est indépendant de la durée d’exposition ; qu’ainsi dès l’âge de 38 ans, Bernard W…, qui avait travaillé de façon intermittente durant treize années dans des puits en qualité de mineur à partir de 21 ans, a été atteint d’une silicose débutante qui a été reconnue comme maladie professionnelle dix ans plus tard ; qu’il s’ensuit que face à un tel risque, l’appelant qui est âgé de 63 ans a bien subi un préjudice consécutif à l’anxiété générée par cette situation et rapportée par ses proches, qu’il convient d’évaluer à la somme de 10 000 euros ".

Chacun des 726 mineurs se voit donc attribuer une somme de 10 000 € pour indemniser le préjudice d'anxiété.

Pour conclure, je voudrais rapporter ces propos, tenus avant le résultat du jugement de la cour d'appel de Douai, par François Dosso, mineur CFDT, qui a animé cette longue action juridique : " Je ne vais pas dire que l'indemnisation n'est pas importante car si demain 500 anciens mineurs ne sont pas indemnisés, ce sera clairement un échec pour nous. Mais le plus important c'est qu'il y ait une reconnaissance de la mise en danger de la vie d'autrui. Si on arrive à faire acter que ces expositions à de nombreux produits toxiques et cancérogènes découlent des fautes et infractions de Charbonnages de France et qu'elles entraînent de nombreuses maladies professionnelles et donc une forte anxiété, ce sera un pas extraordinaire. Cela donnera du grain à moudre à tous ces salariés et notamment ceux qui travaillent pour des sous-traitants et qui sont exposés à des produits toxiques et cancérogènes ".

 

La réalisation de la visite d'information et de prévention des apprentis par des médecins autres que le médecin du travail

Il s'agit d'une décision du Conseil d'Etat en date du 21 janvier 2021 – n°431492 - , non publié au recueil Lebon.

Le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation, pour excès de pouvoir, du décret n° 2018-1340 du 28 décembre 2018 prévoyant l'expérimentation, pendant 3 ans, de la réalisation de la visite d'information et de prévention initiale (VIPI) des apprentis par un médecin de ville [NDR – L'article R. 6222-40-1 stipule que l'apprenti doit bénéficier d'un visite d'information et de prévention initiale, prévue aux articles R. 4624-10 à R. 4624-15 ou à un examen médical d'embauche au titre des articles R. 4624-22 à R. 4624-27 – en cas d'exposition professionnelle entraînant une surveillance médicale renforcée –, dans les deux mois suivant son embauche]. (Vous pouvez accéder au commentaire du décret du 28 décembre 2018 dans la lettre d'information du 20 janvier 2019 sur le blog).

L'argumentation du Cnom repose, notamment, sur les éléments suivants : le décret du 28 décembre 2018 déroge au principe, fixé par l'article L. 4624-1 du code du travail, selon lequel le suivi individuel de l'état de santé et, notamment, la visite d'information et de prévention sont assurés par un médecin du travail. Il y aussi méconnaissance de la règle posée par l'article L. 4623-1 du Code du travail, selon laquelle " un diplôme spécial est obligatoire pour l'exercice des fonctions de médecin du travail ". En outre, pour le Cnom, le médecin traitant qui réaliserait les VIPI aliénerait son indépendance professionnelle et violerait le principe déontologique selon lequel un médecin de prévention ne peut fournir des soins, hors urgence.

Le Conseil d'Etat balaie cette argumentation en indiquant que le décret du 28 décembre 2018 constitue la mise en œuvre du I de l'article 11 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoyant  que " A titre expérimental et jusqu'au 31 décembre 2021, sur l'ensemble du territoire national, pour un apprenti embauché en contrat d'apprentissage, la visite d'information et de prévention mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 4624-1 du code du travail peut être réalisée par un professionnel de santé de la médecine de ville, dans des conditions définies par décret, lorsqu'aucun professionnel de santé mentionné au premier alinéa du même article L. 4624-1 n'est disponible dans un délai de deux mois "

De ce fait, l'obligation qu'un diplôme de médecin du travail soit nécessaire pour réaliser les VIPI peut être écartée. De même, vu que dans le décret, l'employeur doit demander au service de santé au travail s'il peut réaliser la VIPI de l'apprenti dans les deux mois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que la visite médicale soit réalisée par un médecin du travail ou un professionnel du service de santé au travail, si cela est possible dans les deux mois.

De plus, le décret prévoit des garanties quant à la réalisation de la visite médicale par un médecin de ville car cette visite peut être réalisée par :

" 1° Un des médecins ayant conclu une convention avec le service de santé au travail dont dépend l'employeur de l'apprenti, en application de l'article 6 du présent décret [du 28 décembre 2018] ;

2° En cas d'indisponibilité d'un des médecins mentionnés au 1° ou lorsque la convention prévue à l'article 6 du présent décret n'a pas été conclue, tout médecin exerçant en secteur ambulatoire, notamment le médecin traitant de l'apprenti sous réserve de l'accord de ce dernier ou de ses représentants légaux s'il est mineur. (...) ".

Le Conseil d'Etat rajoute que " La seule circonstance que le médecin traitant de l'apprenti, en cas d'indisponibilité des médecins exerçant en secteur ambulatoire ayant conclu une convention avec le service de santé au travail, puisse être conduit à effectuer cette visite d'information et de caractère préventif et décider dans ce cadre d'orienter éventuellement l'apprenti vers un médecin du travail n'est pas de nature à porter atteinte au principe de l'indépendance professionnelle du médecin fixé par l'article R. 4127-5 du code de la santé publique. En outre, le médecin, quel que soit son statut, qui assure une visite d'information et de prévention est tenu de respecter la règle fixée par l'article R. 4127-99 du code de la santé publique et ne saurait en principe, sauf urgence ou cas prévu par la loi, donner des soins curatifs. Par voie de conséquence, et en tout état de cause, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions des articles R. 4127-5 et R. 4127-99 du code de la santé publique. "

Sur les autres arguments du Cnom, le conseil d'Etat réplique que " conformément à l'article R. 4624-11 du code du travail cité au point 1, la visite d'information et de prévention a pour objet d'interroger l'apprenti sur son état de santé, de l'informer des risques éventuels auxquels l'expose son poste de travail, de le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en œuvre, d'identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail, et de l'informer sur les modalités de suivi de son état de santé par le service de santé au travail dont dépend l'employeur et sur la possibilité dont il dispose à tout moment de bénéficier d'une visite à sa demande avec le médecin du travail.

La seule circonstance que le médecin traitant de l'apprenti, en cas d'indisponibilité des médecins exerçant en secteur ambulatoire ayant conclu une convention avec le service de santé au travail, puisse être conduit à effectuer cette visite d'information et de caractère préventif et décider dans ce cadre d'orienter éventuellement l'apprenti vers un médecin du travail n'est pas de nature à porter atteinte au principe de l'indépendance professionnelle du médecin fixé par l'article R. 4127-5 du code de la santé publique. En outre, le médecin, quel que soit son statut, qui assure une visite d'information et de prévention est tenu de respecter la règle fixée par l'article R. 4127-99 du code de la santé publique et ne saurait en principe, sauf urgence ou cas prévu par la loi, donner des soins curatifs. Par voie de conséquence, et en tout état de cause, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions des articles R. 4127-5 et R. 4127-99 du code de la santé publique. "

La demande du Cnom d'annulation du décret est donc rejetée par le Conseil d'Etat.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043038327?dateDecision=&init=true&juridiction=CONSEIL_ETAT&page=1&query=431492+&searchField=ALL&tab_selection=cetat 

·     Baromètre de l'état psychologique des salaries français (Sondage)

Ce 5e Baromètre de l'état de santé psychologique des salariés a été réalisé par OpinionWay, un organisme de sondage, pour Empreinte Humaine, cabinet spécialisé dans les risques psychosociaux et la qualité de vie au travail.

Le sondage a été réalisé du 2 au 9 décembre 2020 auprès d'un échantillon représentatif de 2009 salariés, dont 2004 ont répondu au sondage.

L'échantillon a été réalisé par la méthode des quotas selon les critères suivants : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région de résidence, taille et secteur d'activité de l'entreprise et répartition secteur privé / secteur public.

En revanche, la méthode d'estimation de la détresse psychologique n'est pas indiquée.

Vous pourrez accéder au document en pièce jointe et sur le site d'Empreinte humaine en fin de commentaire.

Etat des lieux

La moitié des salariés qui ont répondu ont une santé psychologique au plus bas depuis le début de la crise sanitaire. C'est 1% de plus qu'en septembre 2020.

Parmi ces salariés, 20% se plaignent de détresse psychologique (+ 2% par rapport à septembre 2020) et 31% sont à risque de dépression (+ 11% depuis mai 2020).

Réactions selon les caractéristiques démographiques

Les sujets les plus jeunes, de moins de 28 ans, sont 70% à être touchés par cette détresse psychologique en lien avec l'effet du confinement, l'insécurité économique et l'isolement social. Ceci représente 3% de plus de sujets qu'en octobre 2020.

Les femmes sont aussi, pour plus de la moitié d'entre elles (58%), atteintes par cette détresse psychologique, soit 1.5 fois plus que les hommes.

Gestion des responsabilités familiales

Environ 42% des répondants indiquent qu'ils travaillent en dehors des heures de travail habituelles pour assumer leurs responsabilités familiales, ce qui entraîne chez 71% des femmes concernées une détresse psychologique.

Le travail à temps partiel pour assumer les responsabilités familiales concerne 32% des hommes et 43% des femmes.

Managers et détresse psychologique

Une majorité de managers (56%) sont en détresse psychologique et ceci inquiète 35% des salariés sous leur responsabilité dont 66% sont eux-mêmes en détresse psychologique.

Télétravail et santé psychologique

Quatre salariés sur dix sont en télétravail, dont 22% en télétravail complet. Une majorité de 51% des télétravailleurs se déclarent en détresse psychologique (- 3% par rapport à octobre 2020) contre 48% de ceux qui travaillent dans les locaux de leur entreprise.

Les salariés sont 47% à souhaiter travailler autant que possible en télétravail mais 37% indiquent que le télétravail n'est plus accepté dans leur entreprise.

Une majorité de 64% des salariés estiment qu'il est essentiel pour le collectif de travail de revenir dans les locaux de l'entreprise. Les salariés, pour 13% d'entre eux, souhaiteraient revenir au bureau mais l'employeur les en empêche et 13% des salariés ne souhaitent pas télétravailler et y sont obligés par leur employeur.

Une majorité de 60% des salariés en télétravail indiquent qu'ls pourraient retourner travailler dans leur entreprise car ils n'utilisent pas les transports en commun et ne déjeunent pas avec leurs collègues. Ces salariés sont plus en détresse psychologique (54%) que ceux qui ne souhaitent pas retourner dans l'entreprise (44%).

Ressenti des salariés

Quarante-trois pour cent des salariés ont le sentiment d'être invisibles lorsqu'ils sont en télétravail (64% de ces salariés indiquent être en détresse psychologique) et 55% pensent que certaines personnes abusent du système lorsqu'elles sont en télétravail.

Une majorité de 80% des managers indiquent qu'il est plus difficile de repérer les signaux de détresse psychologique des salariés à distance. Et 30% disent qu'ils n'ont pas assez de temps pour manager. Ils sont 60% à estimer que des membres de leur équipe sont en mal être psychologique mais ne souhaitent pas se faire aider.

La moitié des salariés font semblant d'être de bonne humeur pour ne pas inquiéter leurs co-équipiers alors qu'ils ne se sentent pas bien. Parmi ces salariés, 67% sont en détresse psychologique.

Afin de rompre l'isolement, beaucoup d'entreprise ont mis en place des "apéros virtuels" qui ne semblent guère recueillir un avis favorable des salariés puisque 67% d'entre eux ne les apprécient pas et 44% indiquent que ces réunions de convivialité d'équipe sont imposées et obligatoires (parmi ces derniers, 54% sont en détresse psychologique).

Détresse psychologique et entreprise

Le niveau de sécurité psychologique dans les entreprises est en diminution, de 8% depuis octobre 2020.

Parmi les salariés, une minorité de 31% estiment que leur direction s'engage pour améliorer la santé psychologique. Ils sont 42% à déclarer que la prévention du stress implique tous les niveaux hiérarchiques de leur entreprise. Ils sont encore un peu moins (36%) à considérer que, pour leur direction, la santé psychologique des entreprises est aussi importante que la productivité et 33% à considérer qu'il y a un bon niveau de communication en ce qui concerne les enjeux de leur santé psychologique.

La détresse psychologique est jusque 29% moins fréquente parmi les salariés travaillant dans les entreprises ou il y a un bon climat de sécurité psychologique.

https://empreintehumaine.com/barometre-t5/

 Jacques Darmon


 

 


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