Le 2 septembre 2018
Sommaire de cette
lettre de rentrée relativement chargée entre plusieurs textes de loi et le
rapport de la mission sur la santé au travail… Parmi les textes de loi… Un
arrêté sur les estimations de formation de médecins du travail pour les années
2018 à 2022… un arrêté sur la modification de l'organisation de la Direction
générale du travail qui permettra de constater l'importance du rôle dévolu à la
sous-direction des conditions de travail, de la santé et la sécurité au travail
et à l'inspection médicale du travail directement rattachée au Directeur
général… un décret créant un Observatoire du suicide… et un arrêté qui précise la
possibilité à l'ensemble des agents de la Fonction publique de bénéficier de
l'allocation de cessation anticipée d'activité s'ils sont atteints de l'une des
maladies professionnelles liées à l'amiante des tableaux des maladies
professionnelles 30 et 30 bis… Le rapport tant attendu de la mission confiée à
Mme Lecocq et MM. Dupuis et Forest sur l'évolution de la santé au travail qui
préconise un véritable Big Bang avec un complet changement de paradigme de
l'organisation de la santé au travail…
·
Textes de loi, réglementaires, circulaires,
questions parlementaires et questions prioritaires de constitutionnalité
Arrêté du 14 août 2018 rappelant pour l'année 2018 et
projetant pour la période 2019-2022 le nombre d'internes en médecine à former
par spécialité et par subdivision territoriale
Cet arrêté confirme le nombre de postes ouverts
aux ECN pour l'année 2018/2019 et estime le nombre de médecins formés par spécialités
pour les années 2019/2020 à 2022/2023.
Le total
d'internes formés est estimé à 8627 en 2019, 8597 en 2020, 8738 en 2021 et 9154
en 2022.
" Ces données seront actualisées chaque année en
fonction des analyses démographiques réalisées par l’Observatoire national de
la démographie des professions de santé et de ses comités régionaux et du
nombre de candidats présents aux épreuves classantes nationales. "
Concernant
la médecine et la santé au travail, le nombre de postes ouverts est de 130 pour
l'année 2018/2019, de même que, pour l'instant, pour les années 2019/2020 et
2020/2021 et il passe à 132 pour l'année 2021/2022 et 138 pour l'année
2022/2023.
Pour
l'ensemble de ces années, le nombre de postes d'internes ouverts à l'Assistance
publique des Hôpitaux de Paris reste stable à 25 et il augmente très modérément
pour certains CHU en passant de 13 à 14 pour Lille, de 4 à 5 pour Rouen, de 7 à
8 pour Toulouse, de 3 à 4 pour Nantes.
Arrêté du 3 août 2018 relatif à l'organisation de la direction
générale du travail
Je ne traiterai de cet
arrêté que ce qui peut concerner la santé et la sécurité au travail.
L'article
1 indique que la Direction du travail comprend :
ü le service des relations et des conditions de travail ;
ü le
service de l'animation territoriale de la politique du travail et de l'action
de l'inspection du travail ;
ü le
département des affaires générales.
En outre, sont rattachés au
directeur général un cabinet, une mission communication, l'inspection médicale du travail et la fonction de coordination
juridique.
Je laisse ceux que cela
intéresse spécifiquement aller y puiser d'autres informations concernant
l'animation territoriale de la politique du travail et de l'inspection du
travail (sauf dès lors qu'elles interfèrent avec la santé et la sécurité au
travail) et le département des affaires générales.
L'article
3 précise que le service des relations du travail comprend :
ü la
sous-direction des relations individuelles et collectives du travail ;
ü la
sous-direction des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au
travail.
Les missions de ce service
sont de préparer les projets de textes de loi relevant du champ de sa
compétence, d'en suivre l'exécution et d'en assurer l'évaluation. Il contribue
à mettre en œuvre les mesures visant à faciliter l'accès au droit. Il participe
à l'élaboration de la politique de l'Etat en matière de santé et de sécurité au
travail et coordonne sa mise en œuvre (nous parlerons précisément du futur de
l'élaboration de la politique de santé au travail dans le commentaire du
rapport sur l'évolution de la santé au travail ci-dessous).
Le service de l'animation
territoriale comprend, d'une part, la sous-direction du pilotage et de
l'animation du système d'inspection du travail et, d'autre part, la
sous-direction de l'appui au système d'inspection du travail.
L'article
5 décrit la sous-direction des conditions de travail, de la santé
et de la sécurité au travail.
Celle-ci est composée de
trois entités :
ü le
bureau de la politique et des acteurs de la prévention ;
ü le
bureau des risques chimiques, physiques et biologiques ;
ü le
bureau des équipements et des lieux de travail.
Cette sous-direction est
chargée de l'élaboration des orientations, des règles et des plans d'actions
relatifs à l'amélioration des conditions de travail, la prévention des risques professionnels et la protection des
salariés contre les risques professionnel et du suivi de leur exécution.
Cette sous-direction
participe aux négociations européennes, aux comités techniques d'experts
européens et internationaux dans son domaine de compétence. De plus, elle
assure la transposition et la mise en œuvre des règles européennes en santé et
sécurité au travail.
Parmi ses missions, figurent
aussi la définition et le suivi des actions prioritaires de contrôles et des
campagnes de contrôle ciblées menées par l'inspection du travail, l'instruction
des recours hiérarchiques relatifs aux décisions des services déconcentrés dans
son domaine de compétence et elle assure aussi la concertation avec les
représentants des milieux professionnels.
Plus spécifiquement concernant l'organisation générale de la
prévention des risques professionnels, cette sous-direction :
ü assure
la préparation, le pilotage et le suivi
de l'exécution du plan santé travail et des autres plans d'action
gouvernementaux ayant une incidence sur la santé au travail et elle suit la déclinaison du plan national
santé travail dans les régions (PRST) ;
ü définit
le contenu des actions prioritaires, assure leur suivi et évalue les résultats
;
ü définit
et coordonne les actions d'études et de recherche destinées à faire progresser
les conditions de travail ;
ü participe
à l'élaboration des dispositions relatives aux CHS-CT et aux CSE et veille à
leur mise en œuvre ;
ü élabore les règles relatives à la
médecine du travail, à l'organisation et au fonctionnement des services de
santé au travail ;
ü détermine les orientations de l'action
des services de santé au travail [NDR - Qui devraient, selon
le rapport sur l'évolution de la santé au travail commenté ci-après, être
intégrés dans une structure régionale dédiée à la prévention] et évalue les
actions menées dans de domaine en lien avec l'inspection médicale du travail ;
ü élabore
les règles relatives à la protection des jeunes travailleurs ;
ü assure,
en application de l'article R. 4642-1 du
Code du travail, la tutelle de l'Anact et, selon l'article R. 1313-1 du
Code de la santé publique, avec d'autres ministères (agriculture, consommation,
environnement et santé), celle de l'Anses ;
ü participe
aux séances du conseil national de l'OPPBTP en application de l'article R. 4643-1 du
Code du travail ;
ü prépare et met en œuvre, conjointement
avec la Direction de la Sécurité sociale, les règles relatives aux régimes et à
la gestion des organismes de Sécurité sociale en matière d'accidents du travail
et de maladies professionnelles ;
ü assure
le secrétariat et l'animation du Conseil d'orientation des conditions de
travail (Coct) et dresse le bilan annuel des conditions de travail en lien avec
le secrétariat général du Coct ;
ü participe
aux conseils d'administration de l'Inrs pour la prévention des accidents du
travail et des maladies professionnelles.
Ses missions en matière de
protection de la santé en milieu de travail sont les suivantes :
ü élaborer les orientations et les règles
de prévention des risques chimiques, biologiques et physiques et
suivre leur mise en œuvre ;
ü élaborer,
en lien avec l'Autorité de sureté nucléaire (ASN) et l'Institut de
radioprotection et de sûreté nucléaire (Irsn), les règles relatives à la
protection des travailleurs exposés à des rayonnements ionisants ;
ü élaborer et
suivre la mise en œuvre, en lien avec la Direction de la Sécurité sociale, les orientations et les règles relatives à
la réparation des risques pour la santé en milieu de travail (création et
modifications des tableaux des maladies professionnelles et dispositif de
cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante dont elle assure
également la gestion du dispositif) ;
ü diligenter
des actions d'études et d'expertises en matière de veille scientifique et
d'évaluation des risques, en particulier auprès des organismes compétents en
matière de sécurité sanitaire.
Quant à son rôle dans le
domaine des équipements, des chantiers et des lieux de travail, cette
sous-direction :
ü a en
charge l'élaboration et le suivi de l'exécution des règles relatives à la
conception et à l'utilisation des équipements de travail et des équipements de
protection individuelle ;
ü est
chargée de l'élaboration et du suivi de l'exécution des règles relatives à la
conception et à la sécurité des lieux de travail, à la prévention des risques
sur les chantiers du bâtiment et des travaux publics ;
ü élabore
les orientations et les règles de prévention des risques électrique et pyrotechnique
;
ü conduit,
avec d'autres ministères compétents, des travaux de veille et de surveillance
du marché des machines et des équipements de protection individuelle ;
ü mène,
avec la délégation à la sécurité routière, des actions de prévention concernant
le risque routier professionnel ;
ü assure
l'habilitation et la notification des organismes experts dans le domaine des
machines et des équipements de protection individuelle ;
ü participe
aux travaux français et internationaux de normalisation dans les différents
domaines intéressant le milieu de travail et participe à l'élaboration de la
réglementation européenne dans ce domaine.
L'article
6 est consacré au service de l'animation territoriale. Celui-ci
comprend une sous-direction de l'animation du système d'inspection du travail
qui, dans le domaine de la santé et sécurité au travail, est chargée :
ü de
concevoir et mettre en œuvre les modalités de l'animation des services
déconcentrés dans le champ des relations de travail et de la santé au travail ;
ü d'assurer l'observation des suites
pénales réservées aux procès-verbaux dressés par les services d'inspection du
travail dans le cadre du contrôle de la législation du travail et d'assurer le
suivi des sanctions administratives ;
ü d'engager et de coordonner des actions
de prévention de portée nationale.
L'article
8 traite de l'inspection médicale du travail qui est chargée de
la direction technique des médecins inspecteurs du travail. Comme indiqué
précédemment, l'inspection médicale est directement en lien avec le Directeur
général du travail.
L'inspection
médicale du travail a pour missions :
ü
de participer à la
définition des orientations nationales de la politique du travail en ce qui
concerne la santé au travail et de s’assurer de leur mise en œuvre par les
médecins inspecteurs du travail ;
ü
d’assurer
l’animation des activités du réseau des médecins inspecteurs du travail et d'organiser la
remontée, la consolidation et l’analyse des informations au niveau central ;
ü
de
répondre aux questions déontologiques posées par les médecins inspecteurs du
travail ;
ü
d’apporter une
expertise pour l’élaboration des textes de droit du travail en matière de santé
au travail et
sur toute question relative à la santé au travail.
Décret n° 2018-688 du 1er août 2018 portant création de l'Observatoire
national du suicide
L'article 1 du décret crée, pour cinq ans, un Observatoire national du suicide
auprès du ministre de la santé qui le présidera.
Il détermine les
missions de cet Observatoire :
" - coordonner les différents producteurs de
données ;
- identifier des sujets de recherche, les prioriser
et les promouvoir auprès des chercheurs ;
- favoriser l'appropriation des travaux de recherche
par les politiques publiques et le public de façon plus générale ainsi que leur
diffusion ;
- produire des recommandations sur l'amélioration
des systèmes d'information et en matière de recherche et d'études ;
- définir des indicateurs de suivi de la politique
de prévention du suicide. "
L'article 2 énumère la liste des nombreux organismes qui participeront à cet
Observatoire dont la Drees, la Direction générale de la santé, la Dares, la
Cnam, la MSA, l'Inrs, l'Irdes, etc…
En outre, cet
Observatoire accueillera huit associations intervenant dans le domaine du
suicide dont la liste sera fixée dans un arrêté ministériel, trois psychiatres,
un médecin généraliste, un médecin urgentiste, un médecin du travail, un
médecin scolaire, un gérontologue et un médecin légiste ainsi que deux
personnes qualifiées. L'ensemble de ces dernières personnes sera désigné par le
ministre chargé de la santé.
La présidence
déléguée de cet Observatoire est réalisée par la Drees qui en assure la
secrétariat.
L'article 3 précise que l'Observatoire du suicide se réunit sur convocation de son
président qui arrête le programme annuel et fixe l'ordre du jour des séances. L'observatoire
du suicide peut constituer en son sein des groupes de travail, chargés
notamment du suivi des indicateurs et de la recherche.
Tous les 18
mois, l'Observatoire élabore un rapport qu'il rend public.
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2018/8/1/SSAE1735124D/jo/
Arrêté du 18
juillet 2018 fixant en application du III de l’article 146 de la loi de
finances pour 2016 la liste des maladies professionnelles provoquées par
l’amiante susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation spécifique de cessation
anticipée d’activité
L'article 146 de
la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 prévoit que
: " Les fonctionnaires et les agents
contractuels de droit public reconnus
atteints, au titre de leur activité au sein de la fonction publique de l'Etat,
de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière,
d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté
des ministres chargés du travail et de la sécurité sociale peuvent demander
à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité et à percevoir à ce titre une
allocation spécifique.
Cette allocation peut se cumuler avec une pension militaire de retraite,
une allocation temporaire d'invalidité ou une rente d'accident du travail ou de
maladie professionnelle.
La durée de la cessation anticipée d'activité est prise en compte pour la
constitution et la liquidation des droits à pension des fonctionnaires qui sont
exonérés du versement des cotisations pour pension.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent
I, notamment les conditions d'âge et de cessation d'activité ainsi que les
modalités d'affiliation au régime de sécurité sociale. "
L'Article 1er du décret
spécifie que " La liste des maladies professionnelles provoquées par l’amiante
mentionnée au premier alinéa du III de
l’article 146 de la loi du 29 décembre 2015 susvisée est constituée des maladies répertoriées par les tableaux des maladies
professionnelles n° 30 [Affections professionnelles consécutives à
l'inhalation de poussières d'amiante] et 30 bis [Cancer
broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante] prévus à l’article R. 461-3 du
code de la sécurité sociale. "
· Evolution
de la médecine/santé au travail (rapport)
Durant le mois d'août a été publié le
rapport intitulé " Santé au travail
: vers un système simplifié pour une prévention renforcée " établi par
Mme Lecocq, députée La République en marche, M. Dupuis, consultant, et M.
Forest, ancien secrétaire confédéral CFDT (qui a remplacé M. Naton de la CGT).
Ce rapport a été remis au Premier ministre
le 28 août 2018. Voici le communiqué des services du Premier ministre suite à
cette présentation : " Remise du
rapport sur la santé au travail
Le Premier
Ministre a confié le 22 janvier dernier à Mme Charlotte Lecocq, députée, le
soin de conduire, avec M. Bruno Dupuis, consultant et M. Henri Forest, ancien
secrétaire confédéral CFDT, une mission relative à la santé au travail. Les
objectifs de cette mission portaient en premier lieu sur l’évaluation de la
performance de notre système de prévention des risques professionnels, et en
second lieu sur les leviers notamment
organisationnels permettant d’améliorer cette performance.
A l’issue de six
mois de travail, et de nombreuses rencontres avec des salariés et chefs d’entreprises,
avec les partenaires sociaux, la mission a remis ce jour son rapport au Premier
ministre.
Il est de grande qualité, porte une forte
ambition et vise à transformer en
profondeur notre système de prévention des risques professionnels pour le rendre
plus lisible et plus efficace.
En large partie du
fait d’une construction par strates successives, le système actuel est source d’inefficacités : il mobilise un grand
nombre d’acteurs, avec des moyens très significatifs. Il génère des doublons,
des interférences et nécessite une coordination très consommatrice de
ressources, notamment en temps, de cette multiplicité d’acteurs. Sur les
territoires, pour les entreprises et
leurs salariés, en particulier dans les TPE et PME, l’offre de service de ce système
n’est pas lisible.
Les conclusions de
ce rapport vont alimenter les réunions bilatérales avec les partenaires sociaux
en vue de l’élaboration d’un programme de travail en matière sociale. Comme l’a
indiqué le Président de la République le 17 juillet dernier aux partenaires
sociaux, une négociation interprofessionnelle dont le champ reste à fixer
pourrait se tenir sur la base de ces orientations. "
Mme Lecocq a été interviewée sur France
Inter le 28 août au matin et vous pourrez l'écouter en utilisant le lien
suivant : https://www.franceinter.fr/emissions/le-5-7/le-5-7-28-aout-2018 (pour pouvoir
écouter l'interview, il faut descendre dans la liste des émissions jusque 6h25,
heure où elle a été réalisée).
Dans son interview du 26 août 2018 dans le
Journal du dimanche, le Premier ministre indiquait que divers thèmes seraient
soumis aux partenaires sociaux cet automne, dont la réforme des retraites, de
l'assurance chômage et la santé au travail. Dans cet entretien, il a indiqué que, comme le
Président l'a dit aux partenaires sociaux en juillet 2018, il y avait " nécessité
de parvenir à des avancées majeures dans deux domaines, la santé au travail et
l'assurance chômage ".
Ce rapport, s'il est véritablement mis en
œuvre, changera complètement la gouvernance du système de prévention français
issu de la loi de 1946, concernant les services de santé au travail, et
l'organisation la Sécurité sociale concernant le réseau des Carsat (les caisses
d'assurance retraite et de santé au travail). Il existe apparemment une forte volonté
gouvernementale de mettre en débat la santé au travail mais, pour la mise en
œuvre concrète de ce projet nombre de difficultés seront à surmonter car il n'y
a pas d'abord de l'aspect opérationnel pratique et comme l'on dit, l'enfer
niche dans les détails.
Ce rapport fait suite à nombre de rapports
dont les préconisations n'ont été que partiellement appliquées, et en tout cas
les plus radicales concernant la gouvernance de la santé au travail, comme par
exemple celle du Conseil Economique et Social (pas encore Environnemental, à
l'époque) de 2008 visant à intégrer la santé au travail à la Sécurité sociale
(voir le rapport du CESE sur "
L'avenir de la médecine du travail " - pages 30 et suivantes).
Il faut rajouter un élément important qui
a fait objet de débat cet été, et qui touche la santé au travail, c'est la
proposition de la ministre de la santé de faire prendre en charge par les
entreprises le coût des indemnités journalières du 4e au 7e
jour (qui auraient augmenté de 15% entre 2010 et 2016 dont 4.6% entre 2015 et
2016), proposition avec laquelle le Premier ministre semblait en phase, mais
qui a soulevé la réprobation de la ministre du travail et, bien sûr, des
employeurs.
Afin d'aborder
de la façon la plus facilement compréhensible ce long rapport (plus de 170
pages), nous évoquerons, dans un premier temps, ce qui est préconisé et, dans
un deuxième temps, les critiques du mode de fonctionnement actuel qui ont amené
à ces propositions.
Préambule
En préambule, il
apparaît nécessaire d'indiquer que les auteurs du rapport considèrent que les
préconisations de celui-ci ne sont qu'un premier pas vers un objectif plus
large de performance globale des entreprises que je laisse les auteurs
développer :
" Si les propositions du présent rapport
visent à mettre les acteurs de la prévention en ordre de bataille pour
permettre à la culture de prévention de pénétrer les pratiques managériales au
quotidien, elles restent axées sur une approche par les risques.
C’est pourquoi la mission conçoit le scénario qu’elle a proposé comme
une étape incontournable mais aussi comme un préalable à l’objectif encore plus
ambitieux d’offrir à terme un système qui serait résolument tourné vers la
promotion simultanée de la santé et de la performance globale de l’entreprise.
Un niveau de maturité supérieur, serait non plus de faire de chacun un
préventeur mais un promoteur d’un milieu de travail simultanément propice à
l’efficacité économique et au bien-être au travail, ce qui implique cette fois
tous les acteurs et décideurs du développement économique.
Il n’est en effet pas de performance économique sans performance sociale
de l’entreprise. Il n’est pas de pérennité de l’entreprise sans capacité à
s’adapter et à agir sur un environnement mouvant, internationalisé, et
hautement concurrentiel.
Le concept de performance globale répond à ces enjeux en intégrant la
logique de développement durable dans la stratégie d’entreprise. Ainsi,
l’entreprise n’est plus uniquement tournée vers ses objectifs de performance
financière, mais vise également à concourir au bien-être sociétal et
environnemental. Cette démarche porteuse de sens, plébiscitée par les nouvelles
générations, contribue à la fois à l’attractivité des compétences dont a besoin
l’entreprise et dans le même temps à la fidélisation des professionnels, leur
attachement à l’entreprise et leur engagement, tout en favorisant le bien-être
au travail et en réduisant les facteurs de risques psychosociaux. "
Concrètement, " La mise en œuvre d’une démarche de
performance globale suppose pour l’entreprise de concevoir tout projet
d’organisation dans une logique tridimensionnelle (économique,
sociale/sociétale, environnementale) de manière intégrée. " (p.
141/142)
Un changement
complet de la gouvernance et de la prévention
La
réorganisation préconisée par ce rapport vise à pallier certains
dysfonctionnements et manquements du fonctionnement actuel de la santé au
travail dont, de façon pas forcément exhaustive :
· un manque d'intégration de la santé au travail dans la santé publique et
de relations entre le ministère du travail et de la santé ;
· la complexité du système pour les salariés et les entreprises ;
· malgré des améliorations de la santé au travail portant principalement
sur les accidents, des résultats peu démontrés et peu évalués du fonctionnement
actuel ;
· une pluralité d'acteurs avec parfois des rôles qui se superposent dans le
domaine de la prévention ;
· une mission des Carsat de conseil et de sanction dont la seconde peut
obérer la première par crainte des entreprises ;
· un fonctionnement des SSTI qui apparaît insatisfaisant et une absence de
pilotage national de ces SSTI qui rend difficile la mise en œuvre d'une
politique nationale de santé au travail ;
· etc…
Au niveau national
Organisation de la gouvernance nationale
L'Etat élaborera
la stratégie de la santé au travail à travers une action interministérielle
comprenant la Direction générale du travail (DGT), la Direction général de la
santé (DGS), la Direction de la Sécurité sociale (DSS) et la Direction générale
à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).
Le pilotage sera
assuré par une double tutelle des ministères du travail et de la santé et des
affaires sociales, avec une association des autres ministères intéressés. Ce
pilotage visera à établir le Plan santé travail et à élaborer les textes de loi
(DGT), ceci après concertation préalable avec le Conseil d'orientation des
conditions de travail.
La structure
nationale comprendra un conseil d'administration (CA) où siègent l'Etat et les
partenaires sociaux.
La Commission
AT/MP de la Branche des Risques professionnels de la Cnam est intégrée au
conseil d'administration et les différents comités techniques nationaux
deviennent des commissions du CA.
Regroupement au niveau national des institutions
visant à la prévention
L'idée est
d'intégrer dans une entité intitulée France Santé travail, sous la forme d'un
établissement de droit public, l'ensemble des organismes actuels œuvrant à la
prévention en termes d'ingénierie de prévention, d'élaboration d'outils, de démarches
et de méthodes dans ce domaine. Cette entité disposerait aussi d'un CA avec la
participation des partenaires sociaux.
Cet organisme
regrouperait l'Inrs, l'Anact, l'Organisme professionnel de prévention du
bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) et le secteur prévention de la Branche
AT/MP.
Au niveau régional
Au niveau
régional, la mission propose la création d'une instance de santé au travail
dont la gouvernance est une entité de droit privé avec des instances paritaires
où siège le représentant de l'état en région. Le CA regroupe les compétences
des CA des organismes qui rejoignent la structure nationale, services de santé
au travail interentreprises, l'OPPBTP, la Commission régionale AT/MP (CRAT/MP)
et de l'Aract.
Le pilotage est
assuré par les Direccte en lien avec les Agences régionales de santé. Les
Conseils régionaux d'orientation des conditions de travail conserveraient leur
rôle actuel d'instance d'avis pour les orientations et le suivi des politiques
régionales relatives à la santé au travail.
Recommandations
à l'appui de ce scénario
Recommandation n° 1 : Donner davantage de
visibilité nationale à la politique de santé au travail
· Inscrire dans la
loi l’obligation d’élaborer le Plan Santé Travail et prévoir un rapport régulier devant la représentation nationale.
· Faire du Plan
Santé Travail le volet opérationnel de la politique de santé au travail de la Stratégie nationale de santé.
· Piloter le Plan Santé Travail sous l’égide du comité interministériel
pour la santé.
· Mieux évaluer la
mise en œuvre et l’impact du Plan Santé Travail, notamment en améliorant les
indicateurs de réalisation et d’impact par des études évaluatives ciblées de certaines actions réalisées dans le cadre du plan.
Recommandation n° 2 : Consacrer un effort
financier dédié et significatif à la prévention
· A partir des excédents de la branche risques professionnels, consacrer un
effort financier significatif aux actions en faveur de la prévention dans les
entreprises.
· Mettre en perspective, lors des discussions parlementaires relatives à la
loi de finances et à la loi de financement de la Sécurité sociale, les parts
respectives consacrées à la prévention des risques professionnels.
Recommandation n° 3 : Inciter les branches
à s’emparer des questions de santé et de qualité de vie au travail
· Fixer une part minimale du 2 % des cotisations versées, prévue pour les
prestations à caractère non directement contributif de solidarité dans le cadre
d’un contrat de protection sociale complémentaire relevant du degré élevé de
solidarité obligatoire, à consacrer aux actions de prévention collective.
· Reverser cette quote-part au fonds national de la prévention
lorsqu’aucune action issue d’une négociation collective n’a été engagée par une
branche en matière de santé ou de qualité de vie au travail.
Recommandation n° 4 : Inciter les
entreprises à s’engager davantage dans la prévention par une approche
valorisante
· Ne pas fonder l’incitation à la prévention sur la seule menace de la
sanction.
· Augmenter significativement le montant des aides destinées aux
entreprises et dédiées à la prévention, décidées dans le cadre de la Convention
d'objectifs et de gestion (COG) de la Branche AT-MP pour :
ü garantir un appui à l’instauration d’une démarche de
prévention dans chaque entreprise, en particulier les TPE/PME (par exemple pour
la mise en place d’un système de management des risques) ;
ü mener des actions de sensibilisation des dirigeants
sur le lien Santé au travail/Performance de l’entreprise (performance globale),
compléter les aides incitatives.
· Financer les baisses de cotisations des entreprises
s’engageant dans des actions de prévention innovantes.
· Accompagner les
entreprises dans l’élaboration et le suivi d’indicateurs de performance en
santé au travail, mis en lien avec les indicateurs de
performance globale, pour leur donner à voir le retour sur leur investissement
en matière de prévention.
· Impliquer les
dirigeants d’entreprise en leur ouvrant le bénéfice des prestations de la
structure régionale en ce qui concerne leur suivi individuel de santé.
Recommandation n° 5 : Mieux articuler la
santé au travail et la santé publique pour une meilleure prise en charge de la
santé globale des travailleurs
· Etudier, en lien avec les structures régionales, la
possibilité de mener des actions ciblées de santé publique sans préjudice de
leur mission première.
· Mener des campagnes d’information grand public sur
certains risques professionnels, à l’image de ce qui a été fait pour
l’exposition aux agents cancérogènes et pour les troubles musculo
squelettiques.
· Etendre la possibilité pour les étudiants des métiers
de la santé d’effectuer le nouveau service sanitaire de trois mois dans les
structures régionale de santé au travail.
· Faire évoluer le
dossier médical partagé (DMP),
document à l’usage du salarié dans son parcours de santé dans et hors de
l’entreprise :
ü permettre dès à
présent, dans le respect des principes régissant
ce dossier, l’inscription des éléments
relatifs aux expositions professionnelles ;
ü créer à cet effet une nouvelle rubrique dans le DMP ;
ü parvenir à brève
échéance, dans le respect de la vie privée des
salariés et afin de faciliter une prise en charge coordonnée de leur santé, au partage, via le DMP, d’informations
médicales entre professionnels de santé, qu’ils interviennent dans le parcours
de soins ou de prévention.
Recommandation n° 6 : Renforcer le rôle de
la structure régionale et du médecin du travail pour prévenir la désinsertion
professionnelle
· Intégrer systématiquement la structure régionale de
santé au travail en tant que ressource proposée par les plateformes
territoriales d’appui (PTA) dédiées à la gestion des cas médicaux complexes.
· Mettre en œuvre les recommandations des récents
rapports traitant de la désinsertion professionnelle qui impliquent les futures
structures régionales de santé au travail (Personnes handicapées : « Sécuriser
les parcours, cultiver les compétences » - Dominique Gillot – juin 2018 et
rapport "Plus simple la vie" :
113 propositions pour améliorer le quotidien des personnes en situation de
handicap" - Adrien Taquet et Jean-François Serres – mai 2018).
·
Engager
une réflexion pour une refonte complète du cadre juridique et institutionnel
visant à clarifier et simplifier le
parcours d’accompagnement du travailleur handicapé et plus généralement de tout
travailleur exposé à un risque de désinsertion professionnelle consécutive
à son état de santé, en s’appuyant sur les principes suivants :
ü créer au bénéfice du salarié et de l’employeur
une porte d’entrée garantissant la prise en charge et le suivi multi-acteurs de tout dossier de maintien
en emploi ;
ü organiser les relations entre médecins du
travail et médecins conseil ;
ü
instaurer, en cas de blocage, un mécanisme
administratif garantissant la prise de décisions d’orientations dans des délais
préfixes ;
ü
simplifier les démarches administratives
relatives aux travailleurs en situation de handicap.
Recommandation
n° 7 : Mobiliser efficacement la ressource de temps disponible des médecins du
travail et des personnels de santé
·
Des
mesures pour optimiser l’organisation et
faciliter le suivi individuel de santé systématique des salariés par les
médecins du travail et les personnels de santé :
ü moderniser les outils du quotidien pour la
réalisation des examens médicaux :
Ø généralisation
des systèmes d’information
avec connexion des dispositifs d’examens complémentaires ;
Ø plateformes
internet pour la prise des rendez-vous directe par les salariés ou les entreprises.
·
Développer
l’usage de la télémédecine pour répondre aux disparités territoriales et
réduire la durée de certains actes médicaux.
·
Mobiliser
les ressources au profit d’un
investissement plus grand envers certains salariés :
ü présentant des problèmes de santé
susceptibles d’entrainer leur désinsertion professionnelle qu’il s’agisse :
Ø de motifs d’inaptitude à leur poste dans
l’entreprise ;
Ø de pathologies chroniques nécessitant des
mesures pour le maintien dans leur poste ;
ü appartenant à des populations à risques
telles que les jeunes salariés ou les salariés vieillissant et les aidants ;
ü engagés dans des formes d’emploi ou des
parcours professionnels précaires comme l’intérim ou les CDD ;
ü en situation de handicap.
·
Créer une contribution, en temps ou financière,
des entreprises dotées de services autonomes en faveur des structures
régionales de santé au travail, au titre de la mutualisation, en raison des
travaux qu’elles confient fréquemment à des PME dans le cadre d’une relation de
sous-traitance ou de recours à des prestations extérieures.
·
Ouvrir à certaines catégories de salariés précisément
identifiées (par exemple salariés du particulier
employeur) la possibilité de faire
effectuer leur suivi individuel de santé par des généralistes ayant passé
une convention avec la structure régionale.
Recommandation
n° 8 : Former les différents acteurs de la prévention dans un objectif
interdisciplinaire
· Mettre en place un référentiel national de compétences
en matière de pratiques de prévention, en fonction des métiers, des missions et
du niveau de responsabilité exercé.
· Formaliser l’ensemble du corpus théorique (doctrine)
et méthodologique (démarches, outils, méthodes) en matière de santé travail et
le rendre accessible à l’ensemble des acteurs de la prévention sous forme
pédagogique.
· Prévoir un cursus de formation pour les futurs
responsables des structures régionales.
Recommandation n° 9 : Mieux prendre en
charge la prévention des risques liés aux organisations de travail et à leurs
transformations
· Former aux déterminants organisationnels et humains de
la culture de sécurité :
ü les
intervenants en prévention (Direccte, structure régionale) ;
ü les managers de proximité et les membres de CSE ;
ü les conseils extérieurs en entreprise (avec des formations
conjointes pour chacune de ces trois catégories d’acteurs).
· Poursuivre le développement de la culture de
prévention et de la qualité de vie au travail dans la formation initiale des
managers et ingénieurs (concevoir et organiser le travail en santé et en
sécurité, animer des collectifs de travail, animer des espaces de régulation,
etc.).
· Formaliser la qualité des prestations des intervenants
extérieurs sur ces domaines par la justification du recours à des référentiels
éprouvés et reconnus.
· Développer la
recherche sur les liens entre santé et transformation du travail.
· Développer l’ingénierie et le déploiement de démarches
participatives impliquant les salariés dès la phase de conception et de mise en
place de nouvelles organisations du travail ou mode de production afin de
combler le retard important de la France en Europe en la matière.
Recommandation n° 10 : Mettre en place au
sein de chaque structure régionale une cellule spécifiquement dédiée à la prise
en charge des RPS
· Cette cellule dédiée à la prise en charge des RPS interviendrait :
ü à la demande d’une entreprise
souhaitant engager une démarche de prévention ;
ü à la demande d’un
salarié ou travailleur indépendant souhaitant
bénéficier d’un appui à la gestion de ses RPS, indépendamment de l’entreprise
et dans le respect de la confidentialité ;
ü en cas de
signalement de RPS laissant craindre des facteurs pathogènes
dans une entreprise, une organisation ou un secteur d’activité ;
· de façon
pluridisciplinaire : médicale
pour l’accompagnement individuel, collective
pour investiguer les causes organisationnelles, managériales,
contextuelles, en lien avec les
différents acteurs concernés de l’entreprise.
Recommandation n° 11 : Organiser au sein
de la structure régionale un guichet unique
· La structure
régionale doit rendre le service de proximité envers les salariés et les
employeurs en mettant en place une structure d’accueil permettant une prise en
charge personnalisée.
· Cet accueil doit être en capacité de répondre à toute
demande du socle d’offre de service relative à la santé et à la qualité de vie
au travail en orientant le demandeur vers le bon interlocuteur de la structure
ou vers un intervenant extérieur habilité sur son territoire.
Recommandation n° 12 : Permettre
l’exploitation collective des données à des fins d’évaluation et de recherche
et généraliser l’interopérabilité des systèmes d’information
· Généraliser et
harmoniser les systèmes d’information des structures régionales, notamment pour ce qui concerne les
anciens services de santé au travail.
· Harmoniser les
modalités du recueil des données par l’utilisation de thésaurus homogènes
définis sur le plan national par
la structure nationale en lien avec l’Anses.
· La nouvelle configuration des structures de santé au
travail facilitera l’exploitation des données à des fins statistiques et la
mise en place d’enquêtes ou d’études coordonnées par l’Anses, Santé Publique
France ou la Dares.
Recommandation n° 13 : Simplifier
l’évaluation des risques dans les entreprises pour la rendre opérationnelle
· Limiter la formalisation de l’évaluation aux risques
majeurs dans les plus petites entreprises.
· Rendre obligatoire
un seul document pour toutes les entreprises : le plan de prévention des
risques qui intégrera les éléments d’évaluation des risques se substituant
ainsi au document unique d’évaluation des risques (DUER).
· Faire accompagner les entreprises pour l’élaboration
de leur plan de prévention par les
structures régionales et supprimer
en conséquence la fiche d’entreprise.
Recommandation n° 14 : Proportionner les
obligations et les moyens à déployer dans les entreprises en fonction de leur
spécificité et des risques effectivement rencontrés par les salariés
· A cet effet revisiter, en coopération avec les
partenaires sociaux, la réglementation pour la faire évoluer vers une
simplification et une recherche d’efficacité réelle.
· Rendre les décrets
applicables à titre supplétif lorsque l’entreprise adopte des dispositions de
prévention qui répondent au même objectif que la réglementation sans en suivre
les modalités d’application concrètes. Une
telle logique, sans rien céder à l’exigence de sécurité, serait de nature à
réduire l’écart entre les exigences réglementaires (conformité) et les
contraintes du travail réel et à améliorer l’effectivité de la prévention.
Recommandation n° 15 : Donner les moyens
aux partenaires sociaux de participer à la conception, la mise en œuvre et au
suivi des politiques publiques en matière de santé au travail
·
Abonder le fonds du paritarisme par les
sommes issues actuellement du FNPAT [Fonds national de prévention des accidents
du travail] destinés aux partenaires sociaux pour la formation en matière de
santé au travail et flécher leur utilisation pour leur participation aux
politiques de santé au travail.
Recommandation n° 16 : Conduire une
réflexion pour l’amélioration de la santé et de la qualité de vie au travail de
la fonction publique
·
Le champ de la mission ne couvre pas celui
de la fonction publique, celui-ci n’a donc pas été abordé. Néanmoins, les
nombreux témoignages provenant des fonctions publiques incitent la mission à
proposer que les recommandations qui peuvent être transposées prennent part
dans la réflexion conduite sur la réforme de la fonction publique nationale,
territoriale et hospitalière.
Appréciation
de l'état des lieux de la prévention
Méthodologie
Les auteurs de
la mission se sont appuyés sur les retours de nombreuses auditions, parfois, en
groupe allant jusque quarante personnes, et de participation par des écrits.
Ces auditions et ces participations ont concerné des salariés, des employeurs,
en particulier de TPE et PME, des travailleurs indépendants, des consultants en
santé et sécurité au travail, des médecins, infirmiers et directeurs de
services de santé au travail, des conseillers en prévention et des membres
d'organismes intervenant dans le domaine de la prévention en santé au travail.
Premiers constats
Un manque de lisibilité et une confusion
entre prévention et sanctions
Les acteurs de
terrain font remonter une insatisfaction quant au fonctionnement du système de
santé au travail qui provient tant des salariés que des employeurs.
Ils indiquent
qu'il y a une telle densité d'acteurs publics, privés, associatifs, nationaux,
locaux que la lisibilité du système est devenue impossible.
Le système de
santé au travail apparaît décourageant car il assimile santé au travail avec
contrainte, voire sanction, pour l'employeur qui n'a pas satisfait à certaines
obligations, comme l'organisation d'une visite médicale ou de réaliser
l'évaluation des risques.
Ceci introduit
une certaine méfiance envers les acteurs de la prévention.
Les auditions
ont aussi permis l'émergence de questions sur le coût de la médecine du
travail, du cloisonnement de celle-ci vis à vis de la médecine de ville, de
l'absence du médecin du travail lors des CHS-CT, de la difficulté à obtenir des
rendez-vous, etc...
Il existe aussi
un sentiment de manque de reconnaissance des médecins du travail, ce qui peut
aussi expliquer le déficit d'attractivité de cette spécialité.
Ainsi, les
entreprises ne perçoivent pas toujours l'étendue de l'offre d'accompagnement
qui pourrait être proposée par les services de santé au travail.
Ainsi, il
apparaît nécessaire de rendre plus lisible le système de santé pour ses
usagers. L'idée d'un interlocuteur unique est largement plébiscitée,
avec une offre de service et un coût correspondant explicité et proportionné. En
outre, le système de santé au travail doit plus se tourner vers une
prévention primaire et être plus incitatif envers les entreprises
vertueuses s'engageant dans une démarche proactive de prévention des risques et
d'amélioration de la santé au travail.
La nécessité d'une réponse à des besoins
en évolution
Cet enjeu est
d'autant plus important qu'on assiste à des évolutions importantes. D'un point
de vue démographique, on constate le vieillissement de la population active
avec la nécessité d'anticiper les besoins en termes de prévention de la
désinsertion et de maintien en emploi. L'évolution de l'emploi avec des
parcours professionnels de plus en plus variés va nécessiter une approche
longitudinale de la santé au travail portant sur l'ensemble de la carrière des
travailleurs, indépendamment de leur statut ou d'une entreprise spécifique.
Les orientations
de réorganisation du système de santé préconisées dans ce rapport sont liées à
la réponse aux besoins des usagers salariés et employeurs des entreprises.
L'état des lieux
Le système de santé au travail et son
environnement juridique
L'organisation
du système de santé au travail français obéit aux règles du cadre promotionnel
pour la santé et la sécurité au travail issu de la Convention n° 187 de
l'Organisation internationale du travail (OIT) qui prévoit, sur un plan
institutionnel, l'établissement d'une politique, d'un système et d'un programme
de santé et sécurité au travail sur le plan national.
Concrètement, le
droit de la santé au travail résulte, pour l'immensité de ses règles, et en
particulier pour la partie IV du Code du travail, de la transposition de textes
européens. En particulier de la Directive 89/391 du 12 juin 1989 qui a
introduit la démarche et les principes généraux de prévention [NDR - Voir les
articles L. 4121-1 et suivants et R. 4121-1 et suivants du Code du travail].
Le 3e plan santé au travail
(PST3)
Le troisième
plan santé au travail fixe une feuille de route pour la santé au travail pour
les années 2016 à 2020. Il résulte d'une concertation entre partenaires sociaux
puis avec les pouvoirs publics. Il a pour ambition de passer d'une logique de
réparation à une logique de promotion de la santé au travail [NDR - Néanmoins,
dans l'attente de l'atteinte future de cet objectif de promotion de la santé il
ne faut pas négliger la réparation des atteintes dues aux accidents du travail
et aux maladies professionnelles liées à des expositions passées].
Ce PST3 doit
s'articuler avec la Stratégie nationale de santé 2018-2022 dont l'un des quatre
axes vise" à mettre en place une
politique de promotion de santé dans tous les milieux et tout au long de la vie
", avec un axe visant à promouvoir des conditions de travail
favorables à la santé et maîtriser les risques environnementaux " [Stratégie
nationale de santé 2018-2022 (page 22) : " Promouvoir la santé au travail,
développer une culture de prévention dans les milieux professionnels et réduire
la fréquence et la sévérité des pathologies liées aux conditions de travail
"].
Cette
introduction dans la Stratégie nationale de santé de la santé au travail
transcende la césure qu'il y a eu jusque-là entre santé publique et santé au
travail.
Une prévention des risques professionnels
à parfaire
Les auteurs du
rapport constatent une baisse importante des accidents du travail (AT) au 20e
siècle en raison des progrès réalisés dans les entreprises sous la pression du
contrôle de l'inspection du travail, de la politique de prévention de la
Branche AT/MP et des actions des organismes de prévention. Les AT sont, ainsi,
passés de 1 million en 1955 à 622 000 en 2014 alors que le nombre de salariés a
doublé sur une même période. Cependant, on assiste à une stabilisation ces
dernières années.
Diagnostic des avantages et lacunes du
système
Il existe un
relatif consensus sur l'état des lieux du système de prévention des risques
professionnels. Ce système répondait globalement aux attentes dans le contexte
industriel dans lequel il a été créé et lui était bien adapté. Actuellement,
selon les auteurs, il montre aussi un certain nombre de signes d'essoufflement
qui conduisent à s'interroger sur sa capacité à répondre aux orientations du
PST3.
L'essoufflement
du système peut être marqué par la dégradation de certains indicateurs. En
effet, certaines régions sont très touchées par la sinistralité (Bretagne, Pays
de la Loire, Languedoc Roussillon), certains secteurs ont vu leur taux
d'accidentalité diminuer mais rester élevé comme le BTP et, dans d'autres, il a
augmenté fortement comme dans l'aide à la personne.
De plus,
l'indice de gravité des accidents est en hausse (+ 1.4% en 2016), traduisant
l'augmentation du nombre de journées d'incapacité temporaire totale (ITT) et
certaines causes d'accident sont toujours très fortement présentes comme les
manutentions manuelles de charges représentant 53% des accidents et les chutes
de hauteur et de plain-pied entraînant 20% des accidents. Les lombalgies
représentent 20% des lésions liées aux accidents du travail.
Les maladies
professionnelles ont aussi fortement augmenté, plus de 72% entre 2002 et 2012.
Les auteurs constatent une diminution de celles-ci depuis 2012 [NDR - Dans
laquelle la modification de certains tableaux, dont le 57 sur les TMS du membre
supérieur, n'est pas innocente]. Mais les TMS représentent 87% du total des
maladies professionnelles.
Les affections
psychiques d'origine professionnelle ont aussi fortement augmenté. Leur nombre,
reconnu au titre du 4e alinéa de l'article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale par les CRRMP, est passé de 90 en 2012 à
339 en 2014 [NDR - Les CRRMP en ont reconnu 418 en 2015 et 593 en 2016 versus
55 en 2010]. De plus, 10 000 cas d'atteintes psychiques d'origine
professionnelle ont été pris en compte au titre des accidents du travail.
De la 6e enquête européenne sur les
conditions de travail de 2015, l'Anact tire les conclusions suivantes " Faible qualité de
l’environnement physique et de l’environnement social, forte intensité du
travail, résultats moyens sur l’utilisation des compétences et l’autonomie
ainsi que sur la qualité du temps de travail : malgré toutes les précautions
d’interprétation nécessaires dans ce type de comparaison internationale, la
France apparaît en situation de décrochage, comparée aux autres pays de l’Union
Européenne. Au final, la France est l’un des rares pays européens à combiner
ainsi dans les dernières années une dégradation conjointe en matière
de conditions du travail et de performance du marché du travail, ainsi que l’a
souligné dernièrement France Stratégie. "
Une culture de la prévention insuffisante
Les auteurs du
rapport constatent que les approches de la prévention sont avant tout
réglementaires et sécuritaires. Les employeurs sont plus souvent guidés par
les contraintes administratives et le respect formel d'obligations
réglementaires que par la conviction du lien entre performance globale de
l'entreprise et santé.
Ainsi, les
mesures de protection individuelle ont la faveur des entreprises, par rapport à
la mise en place de mesures de protection collective.
Comme exemple de
cette approche plus réglementaire que visant à la prévention, les auteurs
citent le document unique d'évaluation des risques, document indispensable pour
la prise en compte des risques et la mise en œuvre d'une prévention efficace,
qui est le plus souvent vécu par l'employeur comme une obligation réglementaire
formelle sans utilité pratique. Et lorsqu'il existe, il constitue rarement un
outil de pilotage efficace pour la prévention.
Un faible appel aux ressources pour la
prévention
Les auteurs du
rapport constatent un hiatus entre la disponibilité d'outils produits par des
organismes et leur utilisation par les employeurs qui y font assez peu appel,
surtout pour les petites entreprises.
Une enquête
employeur menée par la Dares montre que les organismes de prévention ne sont le
plus souvent pas identifiés comme des ressources, surtout dans les TPE/PME.
Ainsi, en 2013, seulement 37% des entreprises ont fait appel à des ressources
extérieures au cours des 12 derniers mois.
Parmi les
entreprises ayant fait appel à des organismes extérieurs, cet appel a concerné
:
· l'Inrs et la Carsat pour 22.7% (mais 54.2% pour les entreprises de 250
salariés et plus et 15.9% pour celles de moins de 10 salariés) ;
· l'Anact et l'Aract pour 3.1% (7.6% pour les entreprises de 250 salariés
et plus et 2.5% pour celles de moins de 10 salariés) ;
· des consultants extérieurs pour 14.7% ;
· l'inspection du travail pour 22.5% (avec toujours une plus forte
sollicitation des entreprises de 250 salariés et plus, avec 55.6%) ;
· les services de santé au travail de façon plus importante, 85.2% avec une
plus faible différence selon la taille des entreprises, de 82.3% pour celles de
moins de 10 salariés à 90.1% pour celles de 250 salariés et plus.
La notion de
proximité de l'interlocuteur est aussi importante pour les représentants du
personnel. Ainsi, le CHS-CT communiquait très souvent avec le médecin du
travail (85%), suivis par l'inspecteur du travail, la Cram, la MSA et l'OPPBTP (à
égalité à 30%). Cet appui était suffisant pour une faible majorité des CHS-CT
(51%). Pour les 49% d'insatisfaits, les raisons en étaient le manque
d'implication des acteurs, leur manque de disponibilité, la méconnaissance de
leur rôle, leur absence lors des réunions et la difficulté pour les joindre.
Une incitation insuffisante à la
prévention
Les aspects
financiers
Les auteurs du
rapport estiment qu'il y a un ratio prévention/réparation des atteintes
professionnelles déséquilibré.
Dans le budget
de la sécurité sociale de 2018, le budget de la Branche AT/MP est de 12.7
milliards €. Une part importante des fonds est consacrée à la réparation des
atteintes professionnelles, pour 100 € cotisés, 38 € sont destinés à la
réparation des accidents du travail et 36 € à celle des maladies
professionnelles, 7 € aux accidents de trajet, 15 € aux victimes de l'amiante
et 4 € à la prévention.
En 2016, la part
du financement par le Fonds national de prévention des accidents du travail
s'élevait à 341 millions €, dont 83.5 millions pour l'Inrs, 28 millions pour les contrats
de prévention et 22 millions € pour les aides
financières simplifiées. Ces dispositifs ont
augmenté pour 2017, avec un financement respectif de 28 millions € pour les
premières et 53 millions € pour les secondes.
Les auteurs du
rapport prennent en exemple l'Allemagne qui, au contraire de la France dont ils
estiment qu'elle a un régime d'indemnisation généreux, privilégie la
prévention, puis la réhabilitation et, en dernier recours, l'indemnisation.
[NDR - Pour
m'occuper d'un certain nombre de victimes de maladies professionnelles ou
d'accidents du travail, je ne considère pas que l'indemnisation est si
généreuse que cela, surtout si l'on prend en compte le retentissement sur
l'activité professionnelle des atteintes professionnelles avec le risque
d'inaptitude et de licenciement. Par exemple, un blocage complet de l'épaule
entraîne une incapacité permanente maximale de 55%, soit un taux d'incapacité
permanente de 32.5% qui peut être mis en balance avec une incapacité à
continuer à exercer un métier manuel].
Dans cet ordre
d'idée, les outils d'ordre financier pour aider à la prévention ne sont pas
assez incitatifs. Les effets de la
tarification sont limités par le fait qu'il existe une mutualisation et qu'une
grande partie des entreprises, celles de moins de 20 salariés, sont soumises à
un taux collectif qui est indépendant de leur sinistralité réelle. Ceci sera
tout de même relativisé, à compter de l'exercice 2021, par un système de primes
pour les entreprises diminuant les risques pour leurs employés et les
augmentations, limitées à 10% des cotisations, en cas de survenue d'un accident
du travail par an pendant trois ans.
Les budgets
globaux consacrés à la prévention sont répartis selon nombre d'organismes et
insuffisamment identifiés.
Le budget des
services de santé au travail interentreprises représente, en 2016, environ 1.6
milliard € versés par les entreprises et celui de la Branche AT/MP, 341
millions € répartis en 186 millions pour le fonctionnement des Carsat, 83.5 millions
pour l'Inrs, 1.3 million pour Eurogip, 50 millions d'aides financières aux TPE
et PME et 14 millions € de ristournes sur les cotisations des entreprises. L'Etat
finance l'Anact et les agences sanitaires (Anses et Santé publique France) pour
leur activité en santé au travail pour un montant de 26 millions €, les
ressources des Aract, en provenance des Direccte, des régions et de leurs
propres ressources sont de 17.3 millions € et le budget de l'OPPBTP est de 40
millions €. Ce qui représente un budget total pour la santé au travail de
l'ordre de 2 milliards €. Cependant, ce budget est en baisse tendancielle
depuis des années.
S'il était
centralisé, il permettrait une utilisation plus fine et cela donnerait des
marges de manœuvre en concentrant des moyens pour des actions dont la dispersion
actuelle réduit l'efficacité.
Les outils de
prévention
De nombreux
outils destinés à la prévention sont disponibles mais il apparait que leur
déploiement est insuffisant. De très nombreux outils de qualité (guides,
brochures, applications) sont disponibles mais leur mise en œuvre sur le
terrain par un accompagnement adéquat manque. Un appui extérieur pour la mise
en œuvre serait nécessaire, surtout dans les TPE qui emploient 24% de
l'effectif salarié, soit 4.5 millions de personnes, mais concentrent une grande
partie des accidents du travail.
Lors de réunions
participatives, " Les chefs
d’entreprises ont exprimé le sentiment de « ne pas être appuyés par les services de santé au travail », cette situation générant un
sentiment d’isolement. Il est ainsi proposé de « créer un accompagnement renforcé pour les TPE par le biais d’un
intervenant qui aide la mise en œuvre et au suivi de la démarche de prévention
dans les petites entreprises » ou « d’aider les entreprises, et notamment les TPE-PME, en leur recommandant
des solutions pratiques ayant fait l’objet d’une évaluation » ou encore
de « mettre en réseau les entreprises,
d’une part, pour partager les bonnes pratiques et d’autre part, pour les sortir
de leur isolement ». "
Un système mal adapté à certains secteurs
d'activité
Le Code du
travail, dans sa 4e partie consacrée à la sécurité au travail, vise
l'ensemble des travailleurs, pas seulement les salariés. Cependant, le système
de prévention est surtout conçu pour les salariés, soit environ 21 millions de
sujets, mais il laisse en dehors 2.8 millions de travailleurs exposés à des
risques professionnels (chefs d'entreprises et travailleurs indépendants) dont
les conditions de travail s'apparentent, sur bien des points, à celles des
salariés.
Pour les auteurs
du rapport, " En matière de santé au
travail, il apparait de moins en moins justifiable d’opérer une distinction
entre les personnes en raison de leur différence de statut juridique alors
qu’au sein d’une même communauté de travail (salarié et indépendant), voire
dans la même entreprise (CDI, intérimaire, CDD, stagiaire), elles cohabitent et
sont exposées aux mêmes risques. La distinction est d’autant plus artificielle
qu’avec les nouvelles formes d’emploi, une même personne peut exercer tout au
long de sa carrière plusieurs activités, voire la même activité, en cumulant
différents statuts. "
De plus,
certaines activités professionnelles (salarié du particulier employeur) ou
certains statuts (auto-entrepreneur) placent objectivement les personnes dans
des situations moins protectrices vis-à-vis des risques professionnels. Aussi, les
auteurs du rapport estiment que les non-salariés et les salariés exerçant dans
des situations particulières devraient bénéficier d'une protection équivalente
à celle de l'ensemble des salariés.
Chez les
intérimaires, on constate des taux de fréquence et des indices de gravité des
accidents du travail plus élevés que dans les autres activités. Ce qui est lié
à plusieurs raisons : réalisation de travaux plus dangereux à plus fort risque
d'accident, affectation sur des postes différents de ceux des salariés en CDI, insuffisance
d'accueil et d'encadrement des intérimaires durant leur mission, changement de
poste ou affectation à un poste non prévu pour lequel la qualification du
salarié n'est pas adaptée.
L'organisation
patronale de l'intérim propose que la charge des accidents du travail des
intérimaires, à ce jour prise en charge uniquement par l'entreprise d'intérim,
soit assurée à 50% par l'entreprise utilisatrice, ce qui pourrait inciter celles
des secteurs les plus à risques de mettre en œuvre des mesures de prévention de
façon plus systématique.
Un rôle négatif de l'obligation de
sécurité de résultat poussée à l'extrême
Les auteurs du
rapport reprennent le point de vue de représentants des employeurs déplorant
les effets, qu'ils jugent contreproductifs, de l'obligation de sécurité de
résultat introduite dans la jurisprudence à partir de 2002 [NDR - À la suite
des arrêts amiante concernant la société Eternit : " attendu que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait,
d'une part, que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger lié à
l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures
nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel, qui n'encourt
aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Eternit industries
avait commis une faute inexcusable " Cass. Soc. du 28
février 2002 n° pourvoi n° 99-21255]. L'obligation
de sécurité de résultat impliquait la responsabilité de l'employeur s'il survenait une atteinte à
la santé du salarié, quoi qu'il ait mis en œuvre, en particulier dans le
domaine du harcèlement moral [NDR - Dans ce domaine, l'employeur était
responsable même s'il avait pris des mesures : " l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en
matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à
cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail
d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses
salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces
agissements " Cass. Soc. du 3
février 2010, pourvoi n° 08-44019, publié au
Bulletin].
Cependant, la
jurisprudence a évolué ces dernières années en permettant d'exonérer
l'employeur de sa responsabilité s'il a mis en œuvre des mesures de prévention
ou s'il a réagi au risque.
[NDR - Il s'agit
d'un revirement de jurisprudence du 25 novembre 2015, Cass. Civ. n° 14-24444,
publié au Bulletin, spécifiant que "
ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les
mesures nécessaires pour assurer la sécurité et
protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui
justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L.
4121-2 du code du travail "].
La relation santé - travail
Les recueils
d'information en place
La France
dispose d'un appareil statistique gestionnaire de la sinistralité fiable mais
l'appariement des données n'est pas optimal.
Les données
régionales de la sinistralité issues des différentes Carsat sont regroupées au
niveau national par la Cnam. Elles permettent de connaître le nombre de
travailleurs victimes d'atteintes professionnelles, de sinistres (AT, accidents
de trajet, MP), le nombre de sinistres avec incapacité permanente, le nombre de
journées perdues pour incapacité temporaire totale et le nombre de décès.
Cependant, il
est impossible de mettre en relation l'état de santé des sujets avec leur
travail car l'application concernant la reconnaissance du caractère
professionnel des AT/MP ressort de la Branche maladie alors que la tarification
des AT/MP où apparaissent les secteurs d'activité dépend d'une application des
Carsat et ces systèmes ne sont pas compatibles.
Une base de
données, le Système national
des données de santé (SNDS) vise à regrouper des informations issues de
l'Assurance maladie (SNIIRAM : Système national d’information inter-régimes de
l’assurance maladie), des hôpitaux (PMSI), du CépiDc de l'Inserm sur les causes
de décès, les données issues des MDPH et un échantillon de données provenant des
organismes d'assurance complémentaire.
Finalement, il
n'existe actuellement pas de base de données partagée entre les données de
réparation, les données de prévention et celles de la consommation médicale
(SNIIRAM).
Or, une
meilleure utilisation des données internes à la Sécurité sociale permettant de
croiser sinistralité, consommation de soins, absentéisme et nature de l'emploi
est indispensable pour améliorer la connaissance du lien entre la santé et le
travail.
Concernant les
données professionnelles des enquêtes de référence de qualité existent en
France. Il s'agit de l'enquête Sumer des médecins du travail et de l'enquête
Conditions de travail, toutes deux supervisées par la Dares.
Sachant que,
depuis 2016, l'enquête Conditions de travail comprend périodiquement une partie
consacrée aux risques psychosociaux.
La nécessité de
la connaissance des expositions professionnelles
La connaissance
des expositions professionnelles revêt un double intérêt : d'une part,
individuel pour le suivi des expositions de chaque salarié et de son état de
santé et, d'autre part, collectif pour connaître les expositions par secteur
d'activité sur un territoire ou sur le plan national afin de mettre en œuvre
une prévention pertinente.
Pour parvenir à
ce résultat, deux pistes sont à envisager en utilisant :
ü soit les données des dossiers médicaux en santé au travail en les
harmonisant pour permettre une exploitation collective. Mais, pour cela, il
est indispensable :
Ø d'harmoniser le recueil des données en appliquant les recommandations de
la HAS préconisant un thésaurus harmonisé ;
Ø de généraliser l'informatisation des dossiers médicaux en santé au
travail avec un système informatique permettant l'interopérabilité entre les
différents logiciels utilisés par les services de santé au travail actuellement
;
ü soit les données déclarées par les employeurs à destination des
comptes professionnels de prévention (C2P) gérés par la Branche AT/MP afin
d'élaborer des statistiques d'exposition aux six facteurs de risque par secteur
et par territoire.
[NDR - Cette
dernière proposition aurait juste le "petit défaut" de laisser de
côté quatre facteurs de risques - les postures pénibles, les manutentions
manuelles de charges, les vibrations mécaniques et les agents chimiques
dangereux - dont le moindre n'est pas celui de l'exposition aux agents CMR dont
les effets peuvent se produire à long terme et dont il apparaît donc important
de tracer les expositions et d'estimer ses effets sur la santé.]
La césure entre santé publique et santé au
travail
En France, la
politique de santé publique a historiquement privilégié l'organisation et la
régulation des soins au détriment de la prévention. Celle-ci n'a été que
récemment inscrite dans la loi de 2004 structurant la politique de santé
publique. La médecine du travail instaurée en 1946 l'a été en tant que
dispositif de prévention médicale mais circonscrite à l'entreprise et donc liée
au contrat de travail.
La césure entre
la prise en compte de la santé de l'homme au travail et sa santé globale,
prenant aussi en compte les facteurs individuels, les parcours et les
expositions environnementales, a été longtemps entretenue. Il est donc devenu
difficile d'aborder les deux volets sans les opposer :
ü certains mettent de côté la protection des travailleurs contre les
risques professionnels au bénéfice d'une approche de santé publique ;
ü d'autres ne prennent pas en compte l'influence des comportements individuels
mais seulement les expositions aux facteurs de risque professionnels et
organisationnels.
Par ailleurs,
les employeurs se méfient d'un risque "d'étatisation/nationalisation"
de la santé au travail et un rapprochement des services de santé au travail,
qu'ils financent, et des Agences régionales de santé.
Les auteurs du
rapport ont pu constater une évolution de cette problématique avec la notion
"d'exposome" qui intègre le caractère multifactoriel et intriqué de
l'ensemble des déterminants de santé et l'approche préventive qui lui est
associée.
Par exemple, le
suivi des salariés/patients atteints de pathologies chroniques ou guéris d'un
cancer nécessitent un suivi dans le champ de la santé au travail et hors de
celle-ci de façon coordonnée.
En conclusion
sur ce point, il apparait que la santé au travail et la santé publique
pourraient se rapprocher dans un double mouvement :
ü d'une part, le milieu de travail pourrait être reconnu comme un lieu où
des messages de santé et des pratiques de prévention sanitaires seraient
susceptibles d'être dispensés ;
ü d'autre part, l'univers de la santé publique et des soignants pourrait
être mieux sensibilisé et intégrer les effets de l'environnement de travail sur
la santé des patients.
L'illisibilité du système d'acteurs en
prévention
Il existe une
multiplicité d'acteurs intervenant dans le champ des risques professionnels.
Cette multiplicité est, en général, associée à une complexité et à une moindre
lisibilité et accessibilité du dispositif.
Le paysage de la
prévention des risques professionnels repose sur deux piliers, l'Etat et la
Sécurité sociale, disposant de représentations nationales et de relais locaux
pour le déploiement de leurs politiques.
Ces deux piliers
s'appuient sur des organes consultatifs avec les partenaires sociaux au niveau
national (Coct et CAT/MP) et régionaux (Croct et CRAT/MP).
Puis des
organismes opérationnels sont peu ou prou rattachés aux deux piliers évoqués
plus haut et interviennent dans la prévention (Anses, réseau Anact/Aract,
OPPBTP, France santé publique, Inrs, Irsn et services de santé au travail).
L'émergence de
nouveaux risques et de pathologies liés au travail en augmentation a impliqué
la nécessité de la mise en œuvre d'une pluridisciplinarité afin de répondre à
la complexité de ces phénomènes.
Cependant, faute
d'un pilotage concerté, chaque opérateur a développé sa propre
pluridisciplinarité avec sa logique propre aboutissant à la production d'une
multitude d'outils portant sur les mêmes sujets, dans les mêmes secteurs.
A ces opérateurs
institutionnels s'est rajoutée une offre de services privée intervenant à la
demande des entreprises.
Concernant les
opérateurs institutionnels, de nombreuses auditions ont fait émerger une
perception ambivalente des employeurs vis-à-vis de la médecine du travail et du
service de prévention de leur Carsat, qu'ils assimilent plus ou moins à des
instances de contrôle. Ce qui favorise, chez certains employeurs, le recours à
des intervenants extérieurs, même si leur compétence n'est pas garantie.
Pour les auteurs
du rapport, la multiplicité des acteurs induit une complexité accrue de
pilotage qui retentit sur l'efficacité sur le terrain.
Pour compenser
cela, les opérateurs tentent de pallier les risques de dispersion par un
recours accru à des outils de contractualisation : contrats d'objectifs et de
performances, conventions de partenariat, etc… Cependant cette façon de
procéder est coûteuse en énergie et ne fait pas apparaître les gains
d'efficacité attendus en retour.
En résumé, les
auteurs du rapport indiquent que " Face à la multiplicité des acteurs,
aux carences de pilotage et de gouvernance du système de santé au travail [la
mission] constate qu’une rupture dans l’organisation actuelle est nécessaire.
Elle ne saurait
se réduire à une simple adaptation du « toujours plus de la même chose » et du
« toujours plus de coordination » dans le catalogue des actions de chacun.
Pour mettre une nouvelle dynamique en
mouvement, l’ambition d’une politique de promotion de la santé doit se traduire
de manière visible et lisible dans l’organisation d’un système de prévention
rassemblant les forces vives qui y participent, regroupées autour d’un service
dédié à cet objectif. "
Rôles respectifs des instances intervenant
dans le domaine de la santé au travail
Rôle de l'Etat
et la Sécurité sociale
L'Etat est
responsable de la définition des orientations et des priorités de la politique
publique de prévention. Il doit trouver un juste équilibre entre ses
responsabilités stratégiques (recueillir les éléments indispensables aux prises
de décision, les mettre en œuvre et les évaluer) et le déploiement des tâches
opérationnelles et la gestion du risque dont il ne peut assurer directement la
mise en œuvre.
L'Assurance
maladie est responsable de la gestion du régime de réparation des accidents du
travail et des maladies professionnelles (réparation et tarification). La
Branche AT/MP considère la prévention comme une gestion du risque et est un
financeur important.
L'implication de
l'Etat français dans la santé au travail repose sur le ministère du travail et,
plus précisément, sur la DGT. Elle devrait être enrichie, dans une approche
globale, d'une présence des ministères de la santé, de l'agriculture, des
transports, de l'emploi et de l'économie et placée sous l'égide du Premier
ministre.
La Cnam qui gère
à la fois la Branche maladie et la Branche AT/MP apparaît comme un acteur
décisif à la jonction des environnements de la santé et du travail.
Les organismes
de prévention
Les auteurs du rapport constatent que l'Inrs et l'Anact, qui partaient d'un socle de base d'intervention différent ont été amenés du fait de l'évolution des risques dans l'environnement de travail, en particulier dans le domaine des risques organisationnels, à intervenir sur les mêmes sujets.
Les auteurs du rapport en concluent que " Ce contexte amène à devoir clarifier et réorganiser l’élaboration, la diffusion et le transfert des outils de prévention en termes de thèmes traités et de cible à atteindre, au bénéfice d’une meilleure satisfaction des besoins des utilisateurs. Les entreprises gagneraient à disposer d’un centre de ressources clairement identifié et facilement accessible, pour disposer des outils, guides et supports facilitant la mise en œuvre de sa démarche de prévention. "
Les
interlocuteurs locaux
L'inspection du travail intervient dans le domaine des risques professionnels et dans le respect
du Code du travail, sans pouvoir être assimilée à un service d'accompagnement
et de conseil en termes de prévention. Mais elle pourrait orienter vers de tels
services.
Ainsi,
l'inspection du travail " pourrait
resserrer son champ d’intervention sur le respect de l’ordre public, en
particulier dans le domaine de la santé au travail, à l’instar des systèmes
d’inspection des pays d’Europe du Nord. Le recours à des sanctions
administratives fléchées sur des thèmes prioritaires, assorties à l’obligation
de mise en œuvre d’un plan d’action dans l’entreprise, dès lors que cette
dernière pourrait s’appuyer sur l’accompagnement en prévention d’un service de
proximité externe robuste, serait de nature, tout en clarifiant les rôles
respectifs, à dynamiser la prévention. Il s’agit en particulier ici de
garantir la distinction entre contrôle et conseil, ce qui n’exclut pas un
contrôle bienveillant de la part de l’inspection du travail, orientant
l’entreprise vers les ressources de conseil qui l’aideront à se mettre en
conformité avec la réglementation. "
Prospectivement,
les fonctions de contrôle de la conformité du droit sont exercées par
l'inspection du travail dans les Direccte, les médecins inspecteurs régionaux
qui n'auront plus à s'occuper de l'agrément des SST pourraient être rattachés
aux ARS mais détachés auprès des Direccte dans leur fonction d'appui à
l'inspection du travail afin de se recentrer sur leurs fonctions de vigilance
et de veille sanitaire liées au travail. La mission envisage de leur faire
recouvrir l'instruction des recours administratifs individuels en matière
d'inaptitude, en remplacement de la procédure prud'homale actuelle !
Les Carsat, sans être dépourvues d'une connotation de contrôle sont davantage
orientées vers le conseil aux entreprises en termes de prévention.
La présence de
1400 agents des Carsat en charge d'une mission de prévention, bien
qu'importante, ne permet pas une visite régulière des établissements, ce qui
fait que sur un peu plus de 2.2 millions d'établissements, ils ne peuvent en
visiter que 2.5% chaque année, ce qui les oblige à centrer leurs interventions
sur des problématiques prioritaires. Ce ciblage permet à ces agents de visiter
les établissements à l'origine de 30% des AT en veillant qu'au moins 10% soient
des TPE. Ces 2.5% correspondent aux entreprises ciblées par les trois
programmes nationaux de prévention, les TMS, les chutes dans le BTP et les
expositions aux CMR.
Les employeurs
faisant difficilement la part des choses entre les fonctions de contrôle et de
conseil des Carsat, il apparaît nécessaire de recentrer les Carsat sur leur
fonction de gestionnaires du risque. La partie de leur mission dévolue au
conseil en prévention serait transférée aux structures régionales.
Les services de santé au travail interentreprises
(SSTI) représentent un acteur essentiel dans le système de
prévention, ils réalisent un maillage de tout le territoire et sont
l'interlocuteur de proximité de référence. Ils présentent l'inconvénient d'être
dépourvus de pilotage national.
Du fait du
maillage du terrain, les services de santé au travail ont la possibilité de
voir toutes les entreprises, d'une part, et, d'autre part, tous les salariés
sur une période de cinq ans. En 2016, 7.4 millions de visites médicales et
d'entretiens infirmiers ont été réalisés et 300 000 établissements visités.
La baisse du
nombre de médecins du travail, liée à leur démographie, a été compensée par
l'embauche d'internes et de collaborateurs médecins, le recrutement
d'infirmiers, d'intervenants en prévention des risques et d'assistants de
services de santé au travail.
Au 1er
janvier 2017, l'effectif des services de santé au travail est évalué à 16 578
salariés, les médecins du travail représentent 30% de l'effectif, les
assistants de services de santé au travail 37%, les infirmiers 9%. Depuis la
première loi amenant à introduire la pluridisciplinarité dans les SSTI en 2002,
celle-ci n'a cessé de se renforcer afin de pouvoir répondre à l'ensemble des
missions des SSTI. Cette pluridisciplinarité permet de comprendre, de prendre
en compte et d'agir sur l'ensemble des déterminants de l'homme au travail : sa
santé individuelle, ses liens avec l'environnement de travail dans ses
dimensions physique, psychique, organisationnelle et sociale, son articulation
avec la vie hors travail et son inscription dans le champ plus vaste de la
santé publique.
Le potentiel humain de déploiement des SSTI en entreprises, leur positionnement en termes de missions et de
compétences couplés à une implantation à l'échelle de l'ensemble des
territoires font donc des SSTI des interlocuteurs opérationnels de proximité
et tout désignés en matière d'appui à la prévention des risques
professionnel et à la promotion de la santé en entreprise.
Mais les acteurs
auditionnés ont regretté les difficultés qu'ils éprouvent pour faire des SSTI
des partenaires stables et durables alors que tous partagent la conviction
qu'ils pourraient être des prescripteurs incontournables de l'offre de
prévention.
De nombreux
rapports ont d'ailleurs souligné ce rôle essentiel des SSTI en termes de suivi
individuel et d'action collective.
Les avis des
usagers des SSTI, recueillis lors des auditions, portent un regard critique sur
ceux-ci et envisagent des voies d'amélioration : " Quelle que soit l’origine professionnelle des participants,
dans les ateliers participatifs et parmi les personnes auditionnées, ils
partagent le constat de la nécessité de réorganiser les services de santé au
travail. En effet, selon eux, « l’organisation
actuelle s'essouffle (pénurie de médecins du travail, multiplicité des acteurs,
politiques d’agréments trop différentes en fonction des régions, etc.) ». Ils
relèvent que « notre système de santé
au travail est sans cesse en retard sur sa compréhension du monde du travail,
centré sur des métiers “historiques” (BTP, métallurgie, industrie) et
déconnecté des nouvelles formes de travail (services, productions
intellectuelles, TPE et autoentrepreneurs, télétravail, ubérisation, etc…) ».
Pour de nombreux participants, « il
est inconcevable qu’à l’heure actuelle les travailleurs indépendants et les
chefs d’entreprises soient hors du champ de notre système de santé au travail ».
Parmi les propositions formulées, les participants ont évoqué le
renforcement du travail de concertation avec les branches professionnelles, « la fusion de l’ensemble des services de
santé au travail et la promotion d’un logiciel métier commun répondant à un
cahier des charges ambitieux ». Ils suggèrent d’appréhender les interventions
des SSTI « selon 3 domaines d’activité
stratégiques : accompagner les entreprises sur le champ de la prévention
collective, suivre les salariés confrontés à des problèmes individuels de santé
au travail, assurer le suivi individuel de la santé des autres salariés ».
Ils proposent « d’attacher le
dispositif de santé au travail à l’individu et non plus au statut ».
Et, pour pallier la pénurie de médecins du travail, « d’augmenter les possibilités de recrutement,
libérer les verrous qui freinent le passage des médecins libéraux vers un
exercice à temps partiel ou complet de la médecine du travail, revaloriser
l’image du médecin du travail, repenser la rémunération et revaloriser le
statut » "
Les acteurs
institutionnels de la prévention sont aussi critiques sur le fonctionnement des
SSTI, bien qu'ils en reconnaissent le rôle primordial. Ils critiquent
l'impossibilité de tisser avec les SSTI des liens stables et durables, qui est
inhérente à l'organisation même de ces services qui ne sont ni fédérés ni
pilotés au niveau national, ce qui est une condition sine qua non à leur
participation à une stratégie nationale de prévention et la garantie d'une
action homogène sur l'ensemble du territoire
Les auteurs du
rapport écrivent que : " La
carence de pilotage des SSTI au plan national apparait d’autant plus paradoxale
qu’elle fait figure d’exception dans le paysage institutionnel français. Contrairement au réseau des Carsat, piloté
par la branche AT-MP, et à celui des Aract, animé par l’Anact, seuls les SSTI
sont autant d’associations dont l’activité n’est pas aujourd’hui encadrée au
plan national.
Leur activité n’est encadrée qu’au plan régional à travers trois outils :
le projet de service, l’agrément de la Direccte, et le contrat pluriannuel
d’objectifs et de moyens (CPOM) conclu par chaque SSTI avec la Direccte et les
Carsat. Ces instruments d’articulation complexe, sont très chronophages
et consommateurs de ressources pour un résultat, en termes de coordination avec
les autres acteurs et d’intégration dans les stratégies de prévention régionale,
qui reste marginal. "
Cette critique
figurait déjà dans les rapports Conso-Frimat de 2007, du CESE de 2008 et dans
le rapport de l'Igas de 2012.
Les auteurs vont
plus loin en indiquant que Présance (ex Cisme), décrite comme l'association des
directeurs de SSTI, ne peut tenir lieu de pilote national des SSTI car son
statut et sa gouvernance en font une structure organisée par les employeurs et
l'objet de cette association lui confère un rôle de prestataire de conseils
auprès des services. Ceci " ne
permet pas de conférer à cette association une légitimité d'interlocuteur en
capacité, auprès des pouvoirs publics et des autres opérateurs, de fédérer les
SSTI et de piloter leurs orientations. Or, en l'absence d'une structure
fédérative, les instances d'orientation nationales et régionales n'ont
actuellement pas en leur sein de représentation des SSTI. "
Relativement à
la contractualisation des SSTI par les CPOM (les contrats pluriannuels
d'objectifs et de moyens), le bilan réalisé par la Direction des risques
professionnels de la Cnam au 31 décembre 2017, rapporte que l'élaboration et le
suivi des CPOM sont chronophages avec des SSTI qui sont apparus comme non
demandeurs et peu proactifs dans 35% des cas. Le retour des Carsat est assez
mitigé, 50% se disent peu satisfaites et 40% satisfaites. Le travail a été jugé
peu efficient par la moitié des caisses (actions a minima, peu d'impact,
coordination difficile, évaluation difficile peu ou pas réalisée). Au final, " l'évaluation de l'impact des
actions menées et l'éventuel gain en efficience collective est difficile, voire
impossible à mesurer ".
De plus, " La quasi-totalité des acteurs
représentant les entreprises ainsi que de nombreuses auditions ont
déploré l’écart croissant entre le montant de la cotisation versée au service
de santé pour chaque salarié et la prestation reçue de ce dernier en retour.
La perception de cet écart semble avoir été aggravée par les dernières
modifications règlementaires et l’espacement des visites médicales d’aptitude, la
perte de la sécurité juridique qui en résulterait ainsi que l’absence de
contrepartie en termes d’accompagnement. "
Les services de santé au travail autonomes
(SSTA) présents dans les grandes entreprises peuvent faire
assurer le suivi de leurs salariés par des médecins du travail et des
infirmières qu'elles recrutent. Il n'y a pas d'obligation réglementaire de
pluridisciplinarité dans ces services mais elle doit s'organiser avec des
ressources en personnels compétents en prévention des risques professionnels.
La mission
demande une plus grande sélectivité pour autoriser la mise en place de ces
services qui pourrait être fondée sur un effectif minimal de salariés suivis,
d'emprise géographique, de suivi des salariés de la sous-traitance et des
intérimaires et aussi avec une plus grande interrelation avec la structure
nationale de santé au travail et les structures régionales qui pourrait être
contractualisée.
" La mission estime à cet égard qu’une contribution, en temps ou
financière, des entreprises concernées au titre de la mutualisation de la prise
en charge de la prévention pourrait être envisagée en raison des travaux
qu’elles confient fréquemment à des PME dans le cadre d’une relation de
sous-traitance ou de recours à des prestations extérieures. "
Point
particulier du maintien en emploi
Le dispositif de
maintien en emploi dans un contexte de population au travail vieillissante
devra apporter des réponses à la hauteur de l'augmentation de la désinsertion
professionnelle.
Comme pour la
prévention dans le domaine de la santé au travail, la politique de prévention
de la désinsertion professionnelle des travailleurs handicapés manque de
visibilité. Les acteurs et les dispositifs mobilisables, dans le cadre de la
prévention de la désinsertion, sont trop peu connus des salariés et des
employeurs. De plus, l'absence ou les difficultés de coordination entre la
médecine de ville, les services de santé au travail, le service public de
l'emploi et les collectivités en charge de la formation professionnelle sont
notables. En particulier, il n'existe souvent aucun lien entre le médecin
traitant, qui peut être le premier à déceler un risque de désinsertion
professionnelle liée à l'état de santé, les organismes de Sécurité sociale et
le médecin du travail. Cette situation nuit fortement à une anticipation de
l'action préventive. De plus, le degré d'implication et les moyens des services
de santé au travail sont hétérogènes.
Tant pour les
personnes reconnues comme handicapées, dans leur parcours d'insertion ou de
maintien en emploi, que pour les salariés, dont la dégradation de l'état de
santé entraîne une restriction de leur aptitude à remplir leur poste, le
dispositif d'accompagnement est un véritable maquis institutionnel. Il est
l'objet de nombreuses critiques en termes d'efficacité et d'ancrage avec la
situation réelle des sujets en difficulté.
La loi du 20
juillet 2011 a renforcé le rôle de conseil des SSTI en termes de prévention de
la désinsertion professionnelle et de contribution au maintien en emploi des
salariés via l'équipe pluridisciplinaire et a prévu la mise en place en leur
sein d'un service social à cet effet. Ces dispositions sont loin d'être
respectées et d'application très inégale d'un service à l'autre.
Les auteurs du rapport constatent que " Les appels répétés et les tentatives pour plus de coordination entre acteurs du maintien dans l’emploi n’ont jusqu’à présent pas donné les résultats escomptés. Il semble donc que seule une solution consistant en une refonte radicale du cadre juridique et institutionnel fédérant et restructurant les différents acteurs concernés puisse clarifier et simplifier le parcours d’accompagnement du travailleur handicapé et plus généralement de tout travailleur exposé à un risque de désinsertion consécutif à son état de santé. "
Cette refonte pourrait, selon les auteurs du rapport, s'appuyer sur les principes suivants :
ü créer au bénéfice du salarié et de l'employeur une porte d'entrée unique
permettant l'accès à l'ensemble des acteurs intervenant dans le maintien en
emploi ;
ü organiser les relations entre médecins du travail et médecins conseil ;
ü instaurer, en cas de blocage, un mécanisme administratif garantissant la
prise de décision et d'orientation dans des délais déterminés ;
ü simplifier les démarches administratives relatives aux travailleurs en
situation de handicap.
Les auteurs du
rapport envisagent les pistes suivantes :
ü l'offre de services à laquelle le salarié et l'employeur devraient
pouvoir accéder pourrait être regroupée en tenant compte de la mise en place de
la future structure régionale de santé au travail. Ainsi, il peut être
intéressant que cette structure intègre les compétences du maintien en emploi
des Sameth et de Cap emploi (à l'exclusion des volets orientation et
insertion). Un financement par l'Agefiph de cette structure pourrait être
envisagée ;
ü augmenter les
prérogatives des médecins du travail en leur confiant, a minima, la
responsabilité de renouveler les RQTH avec une
possibilité de recours devant les MDPH en cas de désaccord comme le préconise
un rapport récent ;
ü l'intégration systématique des futures structures régionales de santé au
travail au sein des plateformes territoriales d'appui issues de la loi de
modernisation du système de santé de 2016 qui offrent trois types de services
aux professionnels de santé : l'information et l'orientation vers les
ressources sanitaires sociales et médico-sociales du territoire, l'appui à
l'organisation de parcours de soins complexes et un appui opérationnel aux initiatives
des professionnels de santé. Ces plateformes, étoffées par les structures
régionales de santé au travail, favoriseraient la relation entre médecine de
ville et médecine du travail ;
ü l'amélioration de la collaboration entre les différents médecins pourrait
aussi se concrétiser au travers du pilotage national de la santé au travail par
la signature d'une convention cadre nationale avec la Cnam. Cette convention
légitimerait les collaborations au niveau régional entre les structures
régionales de la santé au travail et de la Cnam. En particulier, les médecins
du travail pourraient être informés systématiquement par les médecins conseil
d'un arrêt maladie supérieur à une certaine durée pour toute pathologie qui
pourrait présenter un risque de restriction d'aptitude pour échanges
d'information et harmoniser le parcours de soins et sa prise en charge durant
la période de recherche de solutions ;
ü pour compléter la dynamique collaborative résultant de cette convention
et pallier le risque de désinsertion lorsque la situation ne trouve pas
d'issue, le salarié ou le médecin du travail pourrait saisir une instance
collégiale établie réglementairement (composée d'un médecin conseil, d'un
médecin du travail, d'un spécialiste et d'une assistante sociale). L'avis rendu
par cette instance devrait s'imposer au médecin conseil et aux autres
structures de prise en charge des personnes en voie de désinsertion.
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000578.pdf
Jacques Darmon
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