Le 10 juin 2018
Au menu de la
lettre du jour… Des jurisprudences… l'une du Conseil d'Etat sur l'obligation de
recherche de reclassement qui incombe aussi à un établissement public… des
jurisprudences de la Cour de cassation concernant les accidents du travail et
les maladies professionnelles relatives aux réserves motivées de l'employeur
sur une déclaration d'accident du travail, au taux d'incapacité permanente
définitif attribué après une reconnaissance de pathologie qui peut être
inférieur au taux prévisible pour accéder au comité régional de reconnaissance
des maladies professionnelles sans remettre en cause la reconnaissance de la
maladie professionnelle… et une jurisprudence indiquant qu'en cas de survenue
d'accidents du travail, un CHS-CT peut voter une expertise sans avoir à
déterminer les causes de ces accidents… Une petite information sur ce qui s'est
passé à l'Hôpital de Rouvray qui montre à quel niveau délétère on en est arrivé
dans le monde du travail… Le commentaire de certains articles d'un numéro du
Bulletin épidémiologique hebdomadaire consacré à l'évaluation des risques…
Je vous informe
qu'une réunion très intéressante sur les risques psychosociaux aura lieu dans
les prestigieux locaux de la Cour de cassation le 21 juin 2018 en matinée. Vous
trouverez la plaquette avec le programme en pièce jointe.
· Jurisprudence
Avant de licencier un
fonctionnaire pour inaptitude, son employeur doit rechercher une possibilité de
reclassement
Cet
arrêt du Conseil d'Etat en date du 25 mai 2018 - n° 407336, publié au Recueil
Lebon - confirme l'obligation de recherche de reclassement due aux
fonctionnaires avant un licenciement pour inaptitude, selon l'article 63 de la Loi n° 84-16 du 11
janvier 1984 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. Il est d'ailleurs à
noter que cette loi a été modifiée par une Ordonnance n°2017-53 du 19
janvier 2017 (art. 9) qui prévoit, pour
faciliter le reclassement des fonctionnaires, une période maximale d'un an avec
traitement en vue de la préparation à un reclassement.
Les faits - Un agent est embauché en qualité d'agent public
pour des fonctions de conseiller principal par l'Agence nationale pour
l'emploi, devenue Pôle emploi. Il est en congé maladie puis en congé de grave
maladie pour la période du 31 août 2006 au 30 août 2007. Conformément à l'avis
du comité médical, confirmé par le comité médical supérieur, Pôle emploi a
refusé de renouveler son congé de grave maladie et l'a placé en congé maladie
sans traitement à compter du 31 août 2007 par une décision du 8 octobre 2008
[sic]. L'agent est licencié par Pôle emploi pour inaptitude physique le 5 mars
2012 et a été admis à la retraite le 1er avril 2012.
Il
demande à son employeur d'indemniser le préjudice qu'il a subi du fait de la
décision de le licencier suite à une inaptitude. Il saisit le tribunal
administratif afin de faire annuler les décisions du 3 décembre 2012 et du 14
février 2013 de son employeur rejetant sa demande d'une indemnisation d'un
montant de 150 000 €, assortie des intérêts au titre du préjudice subi suite à la
gestion fautive de sa carrière.
Le
tribunal administratif de Melun condamne, le 16 juillet 2015, Pôle emploi à
verser à cet agent une somme de 16 952.08 € assortie des intérêts au taux légal
et rejette le surplus de ses demandes.
Il
saisit la cour d'appel administrative de Paris qui rejette, par un arrêt du 29
novembre 2016, son appel sur le fait que le tribunal administratif a rejeté une
partie de ses demandes.
L'agent
se pourvoit en cassation devant le Conseil d'Etat en demandant l'annulation de
l'arrêt de la cour administrative d'appel qui a rejeté ses demandes allant au
surplus de ce qu'a indemnisé le tribunal administratif.
Pôle
emploi s'appuie sur un certificat médical du 3 novembre 2011 du médecin qu'elle
avait mandaté afin d'examiner l'agent qui estime que celui-ci n'est pas apte à
la reprise de ses fonctions pour le licencier pour une inaptitude à toutes ses
fonctions qu'il n'avait pas contestée auprès de son administration.
Le
Conseil d'Etat considère, au contraire de l'employeur administratif, que
l'agent peut saisir le juge administratif, sans saisine préalable de son
employeur, pour contester l'interprétation par l'administration d'une
inaptitude à toutes fonctions qu'elle a déduit du certificat médical du médecin
mandaté.
Aussi,
en se basant sur le fait qu'il n'avait pas contesté devant Pôle emploi son
inaptitude à toutes fonctions pour rejeter ses demandes, la cour d'appel a
commis une erreur de droit.
Et
l'agent est donc fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel.
Le Conseil d'Etat accorde au titre de l'article L. 761-1 du Code de la justice
administrative une somme de 2700 €.
L'affaire
est renvoyée devant la cour d'appel administrative de Paris.
Voici
le résumé publié à la suite de cet arrêt du Conseil d'Etat : " Il résulte d'un principe général du droit, dont
s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation
des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur
emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires,
que, lorsqu'il a été médicalement
constaté qu'un salarié se trouve, de manière définitive, atteint d'une
inaptitude physique à occuper son emploi, il incombe à l'employeur public,
avant de pouvoir prononcer son licenciement, de chercher à reclasser
l'intéressé dans un autre emploi. La mise en oeuvre de ce principe implique que, sauf
si l'agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre
une activité professionnelle, l'employeur
propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi
équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel
emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Ce n'est que lorsque ce reclassement est
impossible, soit qu'il n'existe aucun emploi vacant pouvant être
proposé à l'intéressé, soit que l'intéressé est déclaré inapte à l'exercice de
toutes fonctions ou soit que l'intéressé refuse la proposition d'emploi qui lui
est faite, qu'il appartient à
l'employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l'intéressé, son
licenciement."
Jurisprudences
AT/MP
Je reprends ici des jurisprudences citées dans la dernière veille
juridique de l'Institut Droit et Santé qui, bien que n'étant pas publiées au
Bulletin d'information de la Cour de cassation, permettent d'apporter des
précisions quant à la contestation de la reconnaissance d'un accident du
travail ou d'une maladie professionnelle et de l'expertise votée par un CHS-CT.
Les réserves
motivées de l'employeur à la reconnaissance d'un accident du travail ne peuvent
porter que sur le lieu et les circonstances de l'accident ou prouver qu'il est
lié à une cause complètement étrangère au travail
Un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation -
Cass. 2e Civ. pourvoi n° 17-10335, non publié au Bulletin - qui
traite de la contestation d'un accident du travail par l'employeur.
Les faits - Une salariée d'une société
d'intérim mise à la disposition d'une entreprise est victime d'un accident du
travail le 3 novembre 2010. Elle a eu la main gauche écrasée alors qu'elle
nettoyait une machine. La caisse primaire a
pris en charge cet accident au titre de la législation sur les accidents
du travail.
La salariée saisit les juridictions de Sécurité sociale pour faire
reconnaitre la faute inexcusable de son employeur.
La cour d'appel reconnaît la faute inexcusable de l'employeur, majore la
rente qui a été attribuée à la salariée au taux maximum prévu par la loi et lui
alloue une somme de 3000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de
ses préjudices, à charge de la CPAM, qui doit faire l'avance de cette somme, de
la recouvrer auprès de l'employeur. En outre, elle confirme que la CPAM pourra
se faire rembourser par l'employeur les sommes qu'elle aura à régler du fait de
la faute inexcusable. [NDR - Depuis 2012, l'article L. 452-3-1 du Code de la Sécurité sociale prévoit que la reconnaissance de la faute
inexcusable par la justice oblige l'employeur à s'acquitter des sommes dont il
est redevable au titre d'une faute inexcusable, que l'atteinte professionnelle
lui soit ou non opposable].
Cependant, la cour d'appel fait droit à l'employeur dans son jugement en
déclarant que l'accident lui est inopposable car " en dépit d'une lettre annexée à la déclaration d'accident du
travail contenant des réserves motivées expliquant que l'accident était survenu
suite à un dysfonctionnement technique de la machine, à savoir un défaut de
sécurité fournisseur constaté par l'inspection du travail, la caisse n'a pas
procédé à une instruction préalable, ni envoyé de questionnaires en dépit d'une
lettre annexée à la déclaration d'accident du travail contenant des réserves
motivées expliquant que l'accident était survenu suite à un dysfonctionnement
technique de la machine, à savoir un défaut de sécurité fournisseur constaté
par l'inspection du travail, la caisse n'a pas procédé à une instruction
préalable, ni envoyé de questionnaires "
La caisse primaire d'assurance maladie se pourvoit en cassation suite à
ce jugement qui a déclaré inopposable à l'employeur la décision de
reconnaissance de l'accident du travail par la CPAM.
Sur la première branche du moyen portant sur les réserves émises par
l'employeur en annexe de la déclaration d'accident du travail, la Cour de
cassation, au visa de l'article R. 441-11, écrit: " Attendu que pour
dire inopposable à l'employeur la décision de la caisse, l'arrêt énonce qu'en
dépit d'une lettre annexée à la déclaration d'accident du travail contenant des
réserves motivées expliquant que l'accident était survenu suite à un
dysfonctionnement technique de la machine, à savoir un défaut de sécurité
fournisseur constaté par l'inspection du travail, la caisse n'a pas procédé à
une instruction préalable, ni envoyé de questionnaires ;
Qu'en statuant ainsi, alors
que l'employeur ne contestait ni la matérialité de l'accident, ni sa
réalisation au temps et au lieu du travail, ni n'invoquait de cause totalement
étrangère au travail, de sorte que ses observations ne
constituaient pas des réserves, la cour d'appel a violé le texte
susvisé ".
Sur la seconde branche du moyen soulevé par l'employeur, portant sur
l'absence d'enquête réalisée par la CPAM, la Haute juridiction écrit ces
attendus au visa de l'article R. 441-14 : " Attendu que pour
dire inopposable à l'employeur la décision de la caisse, l'arrêt énonce que
celle-ci a reconnu l'accident du travail sans instruction préalable et sans
envoyer de questionnaires à l'employeur et à la salariée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que
l'employeur ne soutenait ni avoir saisi la commission de recours amiable de la
caisse d'une contestation de la décision de prise en charge que l'organisme
social lui avait notifiée le 22 décembre 2010, ni que cette notification ne
satisfaisait pas aux formes de droit, la cour d'appel a violé le texte susvisé
"
Finalement, l'arrêt de la cour d'appel est cassé en ce qui concerne la
déclaration d'inopposabilité de l'accident du travail qui est faite à
l'employeur.
Le taux d'incapacité
permanente à prendre en compte pour la reconnaissance d'une maladie hors
tableau est celui déterminé lors de la déclaration de la maladie
professionnelle et pas celui fixé après consolidation
Cet
arrêt du 9 mai 2018 de la 2e chambre civile de la Cour de cassation
- Cass. 2e Civ. n° 17-17323, non publié au Bulletin - permet de
faire le point sur la reconnaissance de maladies ne figurant pas dans un
tableau, ce qui intéresse particulièrement les atteintes psychiques et les cancers.
Les faits - Une salariée d'une association déclare le 5
novembre 2010 une pathologie ne figurant pas dans un tableau [NDR - Au titre du
4e alinéa de l'article L. 461-1 du Code de la Sécurité
sociale]. Le médecin conseil accorde une incapacité permanente prévisible de
25% et, après passage devant le Comité régional de reconnaissance des maladies
professionnelles - dont l'avis s'impose à la caisse d'Assurance maladie -, la
maladie est prise en charge en tant que maladie professionnelle le 16 août
2011. Après consolidation, la caisse fixe, le 28 mai 2013, le taux d'incapacité
permanente à 8% qui sera porté à 20% par le tribunal du taux de l'incapacité
(le TCI qui sera appelé à disparaître le 1er janvier 2019 au
bénéfice du Pôle social du tribunal de grande instance).
L'employeur
et la salariée saisissent le tribunal des affaires de Sécurité sociale (aussi
appelé à disparaître le 1er janvier 2019) respectivement pour voir
déclarer inopposable la décision de la caisse de reconnaissance de la maladie
professionnelle et pour la reconnaissance d'une faute inexcusable de
l'employeur.
La
cour d'appel fait droit à la demande de l'employeur et lui déclare la décision
de la caisse inopposable. Elle juge que le taux d'incapacité permanente visé
par l'article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale pour la reconnaissance
d'une maladie professionnelle hors tableau n'est pas différent de celui
déterminé après consolidation et, de ce fait, en tire la conclusion qu'étant
inférieur à 20%, la condition de l'article L. 461-1 n'est pas remplie et donc
la décision de la caisse inopposable. Et elle en déduit que la faute
inexcusable ne peut qu'être rejetée.
La
caisse et la salariée se pourvoient en cassation.
Au
visa des articles L. 461-1, alinéa 4, R. 461-8, D. 461-29 et D. 461-30 du Code de la sécurité
sociale, la Haute juridiction écrit : "
Attendu que pour accueillir le recours de l'association et rejeter celui de la
victime, l'arrêt retient que, contrairement à ce que soutient la caisse, le
taux d'incapacité permanente visé dans l'article L. 461-1 du code de la
sécurité sociale, à titre de condition de reconnaissance d'une maladie professionnelle,
n'est pas différent de celui permettant l'attribution d'une rente ; que la
seule saisine du comité régional de reconnaissance des maladies
professionnelles [CRRMP] sur la base
d'un taux prévisionnel de 25 % ne permet pas de considérer que cette condition
est remplie ; que, par jugement du 9 février 2016, le tribunal du contentieux
de l'incapacité, saisi par Mme X..., a fixé à 20 %, à la date de consolidation,
son taux d'incapacité permanente partielle ; que la condition prévue par
l'article L. 461-1 relative au taux n'étant pas remplie, le caractère
professionnel de la maladie ne peut être retenu ; que dès lors, la décision de
prise en charge de celle-ci est inopposable à l'association et la demande de
Mme X... en reconnaissance de la faute inexcusable doit être rejetée ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les
textes susvisés ".
L'arrêt
est cassé et l'affaire renvoyée devant une autre cour d'appel.
La procédure
de reconnaissance d'une maladie hors tableau figure dans la lettre réseau
LR-DRP-17/2012 du 12 avril 2012 (voir en pièce jointe). Le médecin conseil doit
déterminer une incapacité permanente prévisible, au moment de la déclaration de
maladie professionnelle, fondée sur la gravité de l'atteinte appréciée sur une
hospitalisation, un traitement antidépresseur ou anxiolytique, une tentative de
suicide, un suivi psychiatrique et un retentissement sur la vie privée du
salarié. Si cette incapacité permanente prévisible est supérieure ou égale à
25%, le dossier peut être transmis au CRRMP qui établira s'il y a un lien
essentiel et direct entre la pathologie et l'activité professionnelle. Pendant
la période d'instruction de la reconnaissance de maladie professionnelle, le
salarié bénéficie d'indemnités journalières "maladie" qui seront
ensuite régularisées en indemnités journalières pour maladie professionnelle s'il
y a reconnaissance. Puis lors de la
consolidation, le médecin conseil détermine un taux d'incapacité permanente
définitif qui peut être inférieur à celui du taux d'incapacité prévisible.
A noter que
selon le 6e alinéa de l'article D.
461-30, l'avis du CRRMP s'impose à la caisse primaire
d'Assurance maladie. Mais en cas de contestation de la décision du CRRMP, selon
l'article R. 142-24-2 du Code de la Sécurité sociale, le juge doit désigner un 2e CRRMP dont la décision ne s'impose pas à lui.
Un
CHS-CT n'a pas à déterminer les causes ou l'origine d'un danger grave lorsqu'il
vote une expertise
Cet arrêt de la 2e
chambre civile du 9 mai 2018 - Cass. soc. n° 17-10852, inédit au Bulletin - a
trait à une demande d'expertise par un CHS-CT que la justice a annulée dans un
premier temps.
Les
faits - Suite à plusieurs accidents du travail, le CHS-CT du
centre technique de Marseille de la SNCF, vote une expertise pour risque grave
au sein de l'établissement le 9 décembre 2014. L'employeur saisit le tribunal
de grande instance en référé pour faire annuler l'expertise.
La cour d'appel saisie a
annulé la délibération du CHS-CT dans un arrêt du 17 novembre 2016. La cour
d'appel argue du fait qu'une expertise du CHS-CT ne peut pas avoir pour
finalité de chercher à établir l'existence d'un risque grave, ce qui correspond
à la mission confiée à l'expert par le CHS-CT. Qu'en effet, si le CHS-CT
invoque des accidents précis, il ne peut les corréler à un dysfonctionnement
récurrent de l'entreprise et ainsi ne rapporte pas la preuve d'un danger grave
pouvant être délétère pour la santé physique et/ou morale des agents.
Le CHS-CT se pourvoit en
cassation.
La Haute juridiction n'a
pas la même appréciation que la cour d'appel car " Attendu que pour écarter l'existence d'un risque grave, la cour
d'appel énonce qu'une expertise ne peut avoir pour finalité de chercher à
établir l'existence d'un risque grave au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail [NDR - Cet article a été
abrogé au 1er janvier 2018 par l'Ordonnance n° 2017-1386
du 22 septembre 2017 (article 1) et il a été remplacé par l'article L. 2315-94 modifié par la Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (article 6)] que tel est pourtant le contenu de la mission confiée par le CHS-CT à
l'expert, qui vise à l'identifier ; que le CHS-CT invoque en effet des cas
précis d'accidents survenus sans les corréler à un dysfonctionnement récurrent
au sein de l'entreprise, échouant ainsi à rapporter la preuve de l'existence
d'un péril actuel, objectivement et concrètement constaté par un ensemble de
facteurs pouvant nuire à la santé physique ou morale des salariés ;
Qu'en
statuant ainsi, alors qu'il n'incombait pas au CHS-CT, qui faisait état de sept
accidents du travail survenus au cours des mois précédents, et de treize
accidents survenus au cours de l'année précédente, d'en déterminer la cause ou
l'origine, la cour d'appel a violé le texte susvisé"
L'arrêt de la cour
d'appel est cassé et l'affaire renvoyée devant une autre cour d'appel.
· Le
monde du travail…
La radio et
certains médias écrits nous ont informés de ce qui s'est passé à l'Hôpital psychiatrique
de Rouvray à proximité de Rouen.
Depuis le 22 mars,
des agents de cet hôpital psychiatrique font grève pour réclamer plus de moyens
humains afin d'assumer leurs missions auprès des patients dans des conditions
correctes. Ils demandent la création de 52 postes supplémentaires.
Il faut dire
que l'hôpital du Rouvray fonctionnait à 115% de ses capacités et les solutions
d'accueil et de prise en charge des patients étaient déplorables.
Face à
l'indifférence des pouvoirs publics et l'absence de prise en compte de leurs
revendications, en l'occurrence par l'Agence régionale de santé, sept agents
ont entamé une grève de la faim à la mi-mai. Certains d'entre eux ont dû être
pris en charge par le Samu au vu de leur état de santé ces derniers jours.
Finalement,
vu la situation, l'Agence régionale de santé s'est engagée à créer 30 postes
sur les 52 que réclamaient les grévistes. Un protocole d'accord a été signé le
8 juin 2018 à l'Hôpital du Rouvray.
Voilà où l'on
en est de nos jours pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions !
·
Evaluation des expositions
professionnelles (BEH)
Le numéro
12-13 du Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 22 mai 2018 est intitulé " Evaluation des expositions
professionnelles : un levier pour la prévention ". Il comprend
plusieurs articles dont je commente les plus intéressants à mes yeux. Vous
pourrez y accéder par le lien en fin de commentaire.
Conditions de travail : une autonomie
en recul mais une ambiance de travail moins tendue
Les données de
cet article, signé par Mmes M. Beque et A. Mauroux, proviennent de l'enquête
conditions de travail et risques psychosociaux (RPS) 2016.
Introduction
Les années
2010, dans un contexte de crise économique, ont été marquées par une hausse des
contraintes de rythme de travail ainsi que par la poursuite de la baisse de
l'autonomie et des marges de manœuvre des salariés dans leur activité
professionnelle. Avec l'éloignement de la crise économique, les changements
organisationnels ont diminué et cela retentit sur les résultats de l'enquête
Conditions de travail et RPS.
L'enquête
Conditions de travail - Risques psychosociaux (CT-RPS) fait suite aux
recommandations du collège d'expertise sur le suivi statistique des RPS au
travail réuni en 2009-2010 et qui avait déterminé six axes de facteurs de RPS :
ü les exigences du travail,
ü les exigences émotionnelles,
ü l'autonomie au travail,
ü les rapports sociaux au travail,
ü les conflits de valeur,
ü l'insécurité de la situation de travail.
L'enquête
CT-RPS est intercalée avec l'enquête Conditions de travail et tous les 3 ans,
en alternance, l'une de ces deux enquêtes est déployée.
Depuis 2013,
l'enquête comprend deux volets, l'un consacré aux individus et l'autre aux
entreprises.
Résultats
Les contraintes de rythme et les exigences du travail
Après une
forte augmentation entre les années 1980 (6% de sujets exposés) et les années
1990 (21%), la proportion de salariés exposés à trois contraintes de rythme
s'est stabilisée avec 31% et 32% respectivement en 1998 et 2005 et 35% en 2013
et 2016.
Cette
contrainte reste néanmoins élevée, en 2016, en termes de normes de production à
satisfaire en une journée (48% versus 46% en 2013), de réponse à une demande
extérieure (70%, dont 58% avec nécessite d'une réponse immédiate).
Les exigences
du travail demeurent à un taux important avec 43% des salariés ne pouvant
quitter leur travail des yeux (39% en 2013), 46% qui doivent toujours se
dépêcher, 65% qui doivent fréquemment s'interrompre dans leur tâche pour une
autre. Mais la charge mentale a diminué entre 2016 et 2013 : devoir penser à
trop de choses à la fois (44% versus 49%) et travailler sous pression (31%
versus 36%). Cette diminution de la pression au travail est particulièrement
importante chez les cadres puisqu'elle passe de 51% en 2013 à 43% en 2016.
Les marges de manœuvres
Elles suivent
une tendance à la baisse depuis la fin des années 1990 avec 77% des salariés
qui peuvent choisir eux-mêmes la façon d'atteindre les objectifs (85% en 1998
et 80% en 2013), 62% qui ne peuvent avoir de délais ou faire varier les délais
fixés, 43% qui doivent répéter une même opération ou série de gestes et 46% qui
doivent suivre des procédures de qualité. Cependant, la proportion des salariés
qui peuvent apprendre des choses nouvelles augmente, passant de 77% en 2013 à
80% en 2016.
Les contraintes de temps de travail
Ces
contraintes soit restent stables, soit diminuent modérément. Sont stables : le
travail le samedi (48% en 2013 et 2016) et le dimanche (28% en 2013 et 2016).
Diminuent de façon modérée (avec respectivement entre parenthèses 2016 et
2013), ne pas disposer de 48 heures de repos par semaine (15% et 16%), ne pas
pouvoir s'arranger avec ses collègues (29% et 31%), et travailler la nuit entre
minuit et cinq heures du matin (15% et 16%).
Rapports sociaux au travail
Soutien
social et coopération
Le soutien
social et la coopération demeurent à un niveau assez élevé. Ainsi, 66% des
salariés déclarent être aidés par leur supérieur hiérarchique et 80% par leurs
collègues en cas de travail délicat (respectivement 66% et 79% 2013), 91% peuvent coopérer pour effectuer un
travail correctement (idem en 2013) et 56% ont des entretiens annuels
d'évaluation (52% en 2013).
Relations
sociales
Les
situations de tension avec les supérieurs hiérarchiques et les collègues
diminuent, passant respectivement, entre 2013 et 2016, de 23% à 21% et de 27% à
26%. Le manque de reconnaissance du travail diminue aussi, passant de 29% des
salariés en 2013 à 24% en 2016.
Les
comportements hostiles ont diminué globalement par rapport à 2013 si l'on prend
en compte le sexe et la taille de l'entreprise. Cependant, s'ils ont diminué
pour les salariés en CDI ou CDD, les comportements hostiles ont un peu augmenté
vis-à-vis des travailleurs en CDI dont l'emploi est menacé, des travailleurs en
intérim et des salariés à temps partiel subi (le temps partiel subi touche
majoritairement des femmes).
Le risque de
comportement hostile est augmenté de façon statistiquement significative d'un
facteur 2.1 pour les intérimaires et les sujets en temps partiel subi et de 1.9
pour ceux en CDI avec menace sur
l'emploi.
Par exemple,
en 2013, 37% des sujets déclarent avoir subi un comportement hostile au cours
des 12 derniers mois contre 30% en 2016.
Les femmes
sont plus nombreuses (31%) que les hommes à (28%) à déclarer avoir subi un
comportement hostile au cours des 12 derniers mois.
Les
comportements hostiles sont augmentés dans certaines situations (entre
parenthèses, le facteur multiplicatif) : changement de poste ou de fonction
(1.3), changement dans les techniques utilisées (1.3), restructuration (1.3), changement
de l'organisation du travail (1.5) et rachat ou changement de direction (1.4).
Les exigences émotionnelles
Le contact
avec le public augmente modérément, passant de 71% de salariés concernés en
2013 à 73% en 2016 mais les situations de tension augmentent un peu, passant de
31% en 2013 à 32% en 2016.
Les contacts
avec des personnes en situation de détresse augmentent, passant de 44% à 46%
entre 2013 et 2016 et devoir calmer les gens passe de 53% à 54%. En revanche,
la proportion de personnes devant cacher ses émotions passe de 31% en 2013 à 25%
en 2016.
Les conflits de valeur
Le taux de
salariés déclarant être obligés de faire des choses qu'ils désapprouvent est
stable par rapport à 2013, avec 10% en 2016.
Les contraintes physiques
L'exposition
à au moins trois contraintes physiques est stable par rapport à 2013, avec 34%
des salariés exposés. L'exposition à un bruit intense est aussi stable entre
ces deux dates avec 18% de sujets exposés. L'exposition à des fumées ou des
poussières concerne 30% des salariés (29% en 2013) et le contact avec des produits
dangereux touche 29% des sujets (31% en 2013).
Discussion/conclusion
Les résultats
de cette enquête révèlent une poursuite des tendances avec des pénibilités
physiques ne diminuant pas, une autonomie en baisse et un soutien social au
travail toujours important. Les données fournies montrent aussi une
stabilisation de nombreux déterminants de l'intensité au travail alors qu'ils
avaient augmenté entre 1984 et 2013.
Les auteures
indiquent que ces résultats, et notamment la stabilisation de l'intensité du
travail, peuvent être reliés à la fin d'un cycle de réorganisations et de
changements dans le travail, notamment liés à l'informatisation.
En effet, entre
2013 et 2016, la proportion des salariés ayant vécu un changement important
dans leur environnement de travail est passée de 43% à 41%.
Cependant les
auteures indiquent que le recul important des comportements hostiles ne peut
s'expliquer uniquement par la stabilisation organisationnelle. Elles émettent
l'hypothèse que les salariés pourraient s'habituer à une certaine dégradation
des conditions de travail.
Facteurs organisationnels et psychosociaux associés aux
contraintes posturales en milieu professionnel
Cette étude est signée par M. Bertin et al. (dont le Pr Yves Roquelaure).
Introduction
En 2016, les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentaient 87% de
l'ensemble des maladies professionnelles avec arrêt de travail ou indemnisation
financière d'une incapacité permanente par le Régime général de la Sécurité
sociale. La prévention des TMS nécessite dans un premier temps l'identification
des facteurs de risque dont les facteurs biomécaniques sont l'un des
principaux.
Cependant, la prévention de ces TMS s'avère souvent inefficace lorsque
les seuls facteurs biomécaniques sont pris en compte. Les facteurs
organisationnels et psychosociaux sont susceptibles de jouer un rôle dans la
survenue des TMS, notamment via une exposition plus importante à des
contraintes biomécaniques.
Parmi les contraintes biomécaniques, on peut citer l'exposition à des
contraintes posturales (CP, consistant en des nécessités de position accroupie
ou à genoux, le maintien des bras en l'air, etc…) qui est l'une des plus
fréquentes expositions des salariés, après les gestes répétitifs mais avant les
manutentions manuelles de charges et les vibrations.
Lors de l'étude SUMER 2010, 11% des salariés étaient exposés à des CP au
moins deux heures par semaine et 6% au moins 10 heures par semaine.
Le but de cette étude était d'identifier les facteurs organisationnels et
psychosociaux associés aux CP pour identifier de nouveaux leviers d'action pour
la prévention.
Matériel et
méthodes
Les données de cette étude proviennent de l'enquête SUMER 2010 qui a
porté sur 47 738 travailleurs âgés de 18 à 65 ans et a concerné les sujets pour
lesquels une exposition à une contrainte posturale d'au moins 10 heures avait
été recueillie.
Les expositions aux contraintes organisationnelles (rythme de travail
imposé par des contraintes industrielles et marchandes, des normes de
production, des contrôles hiérarchiques, la dépendance vis-à-vis des collègues,
l'autonomie dans l'organisation des tâches) ainsi que les caractéristiques
socioprofessionnelles (secteur d'activité, statut du salarié) et les
caractéristiques individuelles (âge) et la taille de l'entreprise ont été pris
en compte à partir des réponses faites sur les expositions des sept jours
précédant l'enquête.
Les associations entre les facteurs organisationnels et les CP ont été
étudiées pour des CP d'au moins dix heures par semaine.
Résultats
Exposition
aux contraintes posturales
Sur les 27 348 hommes interrogés, 3765, soit 13.7% étaient exposés à au
moins une
CP au moins 10 heures par semaine et c'était le cas de 2419 (soit 11.6%)
des 20 390 femmes de l'enquête. Tant chez les hommes que chez les femmes, les
CP les plus fréquentes étaient la position accroupie ou en torsion (5.8% et 5%
respectivement pour les hommes et les femmes) et la position forcée des
articulations (6% et 5.9% respectivement pour les hommes et les femmes).
Une exposition à au moins une contrainte posturale pour une durée
supérieure ou égale à 20 heures concernait 8.1% des hommes et 7.3% des femmes.
Exposition
aux contraintes posturales en fonction des facteurs socioprofessionnels
Si l'on prend en compte l'âge, les hommes de moins de 30 ans sont les
plus exposés (17.7%) à au moins une CP au moins 10 heures par semaine alors
que, chez les femmes, celles de moins de 30 ans et d'au moins 50 ans sont les
plus exposées (12.1%).
Les secteurs d'activité qui entraînent le plus d'exposition sont, chez
les hommes, la construction (29.2%) et l'agriculture (24.8%) et, chez les
femmes, l'agriculture (26.4%).
Les catégories socioprofessionnelles les plus exposées à au moins une CP
au moins 10 heures par semaine sont, pour les hommes, les ouvriers non
qualifiés (26.2%), suivis par les ouvriers qualifiés (21.8%) alors que, pour
les femmes, les ouvrières non qualifiées sont les plus fréquemment exposées
(23.6%), suivies par les employés des services (20.1%).
Les intérimaires sont très exposés chez les hommes (24.6%), suivis par
les travailleurs en formation (17.3%) et les CDD (15.2%). Les salariés en CDI
sont les moins exposés (13.2%). Chez les femmes, les différences sont moins
marquées avec des taux d'exposition de 13.6% pour les sujets en formation,
13.8% pour les intérimaires, 14.6% pour les CDD et 11.3% pour les CDI.
Enfin, les hommes travaillant dans les entreprises de moins de 10
salariés sont les plus exposés (18.6%) alors que ce sont les femmes travaillant
dans des entreprises de 50 à 199 salariés (13.1%) et de 200 à 499 salariés
(13.2%) qui sont les plus exposées.
Facteurs
organisationnels et psychosociaux associés à au moins une contrainte posturale
Chez les hommes, les facteurs organisationnels associés de façon
significative à au moins une CP sont (entre parenthèses, l'Odds Ratio, OR) : la
contrainte industrielle (1.7), des normes de production (1.9), la dépendance
vis-à-vis des collègues (1.5) et les contrôles hiérarchiques (1.7). Les
facteurs psychosociaux associés à au moins une CP sont (entre parenthèses l'OR)
: une demande psychologique forte (1.2), une autonomie décisionnelle et une
utilisation des compétences faibles (1.5), un développement des compétences
faible (1.5) et un soutien social hiérarchique et des collègues faible
(respectivement 1.3 et 1.2).
Chez les femmes, les facteurs organisationnels associés à au moins une CP
d'au moins 10 heures sont (entre parenthèses les OR) : une contrainte
industrielle (2), des normes de production (1.6), la dépendance vis-à-vis des
collègues (1.4) et occuper différents postes ou fonctions (1.3). Les facteurs
psychosociaux associés à au moins une CP d'au moins 10 heures par semaine sont
: une autonomie décisionnelle et une utilisation des compétences faibles (1.4),
un développement des compétences faible (1.2) et un soutien hiérarchique et des
collègues faible (respectivement 1.4 et 1.2).
Discussion/conclusion
Je reprends ici ce qu'écrivent les auteurs : " Même si l’origine multifactorielle des TMS chez les travailleurs
est maintenant largement démontrée, l’étude de la nature des relations entre
les facteurs socioprofessionnels, organisationnels, psychosociaux et
biomécaniques dans la genèse des TMS est relativement récente. L’exploration
des mécanismes par lesquels des facteurs organisationnels et psychosociaux
peuvent favoriser la survenue des TMS chez les travailleurs est nécessaire,
notamment pour la mise en place d’actions de prévention efficaces. En effet,
l’exposition à des contraintes biomécaniques (CP, manutention manuelle de
charges, gestes répétitifs…) peut être considérée comme un facteur
intermédiaire permettant d’expliquer en partie l’influence indirecte de ces
facteurs (facteurs organisationnels et psychosociaux) dans la genèse des TMS.
Dans ce contexte, les résultats de cette étude confirment la nécessité de
prendre en compte ces facteurs, via et
au-delà d’une exposition à des contraintes biomécaniques, dans l’élaboration
des stratégies de prévention des TMS liés au travail. Cette étude confirme la
nécessité de tendre vers une approche intégrée et globale dans la prévention
des TMS, prenant en compte l’ensemble des facteurs biomécaniques, socioprofessionnels,
organisationnels et psychosociaux et leurs liaisons intrinsèques. "
[NDR - Dans un article publié en
2009, Y. Roquelaure, dont j'ai cité de façon volontaire le nom comme co-auteur
de cette étude, avait déjà montré le lien direct qu'il pouvait y avoir entre
certains facteurs organisationnels et psychosociaux et la survenue de TMS du
membre supérieur, outre l'exposition à certains facteurs biomécaniques. Pour
reprendre certains des items de l'article commenté ci-dessus : le rythme de
travail dépendant d'une machine augmente significativement les risque de
survenue d'un TMS du membre supérieur d'un facteur significatif de 1.5 (1.5 non
significatif chez les hommes mais de 1.8 significatif chez les femmes ; la
rotation de poste ou de tâche au moins une fois par semaine entraîne une
augmentation significative de la survenue de TMS globalement de 1.3 et de 1.4
chez les hommes mais n'est pas significative chez les femmes, bien qu'augmentée
de 1.3 ; enfin, un temps de repos insuffisant, inférieur à 10 minutes, entraîne
une augmentation globale significative de 2.4, de 1.9 chez les hommes et 2.5
chez les femmes. (Source : Risk factors for upper-extremity musculoskeletal disorders in the
Working population - Roquelaure Y. et al. - Arthritis Rheum. 2009 October;
61(10): 1425-1434)].
Evaluation de l'exposition professionnelle aux solvants en
France entre 1999 et 2013
Cet article de ce numéro du BEH est signé par Mme C. Pilorget et al. et
est intitulé " Evolution de
l'exposition professionnelle aux solvants oxygénées, pétroliers et chlorés en
France entre 1993 et 2013. Résultats du programme Matgéné ".
Introduction
Ce document fournit les données des expositions aux différents solvants
en 1999, 2007 et 2013 et leur évolution.
Les données reposent sur la réalisation des matrices emplois-expositions
de Santé publique France (issues des programmes de l'InVS). Les solvants
constituent un ensemble de nombreux produits pouvant avoir des effets délétères
sur la santé. Ils sont largement utilisés dans de multiples domaines.
Le but de ce travail est de décrire l'évolution de l'exposition des
travailleurs aux trois principales familles de solvants que sont les solvants
chlorés, pétroliers et oxygénés.
Méthode
Les matrices emplois-expositions prennent en compte 17 solvants ou
familles de solvants. Les solvants oxygénées pris en compte comprennent les
alcools, les cétones-esters, l'éthylène glycol, l'éther éthylique, le tétrahydrofurane.
Les solvants pétroliers suivis sont le white spirit et d'autres coupes légères
aromatiques, les gazoles, fiouls et kérosène (GFK), l'essence carburant, le
benzène, les essences spéciales et autres solvants pétroliers aliphatiques.
Enfin, les solvants chlorés sont le trichloroéthylène, le chlorure de
méthylène, le perchloroéthylène, le chloroforme.
Pour chaque catégorie de produits mentionnés ci-dessus, les matrices
emplois-expositions (MEE) ont pris en compte l'exposition à au moins l'un de
ces produits.
Les matrices emplois-expositions sont construites par expertise à partir
de données collectées sur les situations d'exposition professionnelle, les
tâches exposantes, les niveaux d'exposition et concernent la situation des
travailleurs en France.
Ces données fournissent des indices d'exposition (probabilité, intensité,
fréquence, ou niveau) pour un couple profession-secteur d'activité.
Les données de population utilisées sont celles de l'Insee.
Résultats
Expositions
globales aux solvants et selon le sexe
Pour les trois catégories de solvant, l'exposition a diminué entre 1999
et 2013. Les femmes sont moins exposées que les hommes et l'ensemble de la
population aux solvants pétroliers et aux solvants chlorés mais, en revanche,
le sont plus aux solvants oxygénés.
L'exposition aux solvants oxygénés, les plus utilisés, est passée de
12.1% à 11.4% entre 1999 et 2013, ce qui correspond à une exposition de 3 045
240 salariés en 2013 (avec, cependant, une augmentation à 11.1% entre 1999 et
2007). L'exposition aux solvants oxygénés est passée, entre 1999 et 2013, de 16.3% à 15.4% chez les femmes et de 8.6% à
7.7% chez les hommes. Le produit principalement utilisé dans cette catégorie
est l'alcool (9.2% des sujets exposés).
L'exposition aux solvants pétroliers est globalement passée, entre 1999
et 2013, de 6.2% à 5.3% (soit une exposition de 1 403 176 travailleurs) et,
respectivement pour hommes et femmes, de de 10.2% à 9.1% et de 1.3% à 1.1%.
Quant à l'exposition aux solvants chlorés, d'utilisation moindre, elle
est passée, entre 1999 et 2013, globalement de 0.35% à 0.22% de sujets exposés
et respectivement pour hommes et femmes de 0.46% à 0.31% et de 0.22% à 0.13%.
Les secteurs
d'activité concernés
Il faut d'emblée noter que dans tous les secteurs d'activité, et pour
tous les produits, à l'exception des transports terrestres où l'exposition
entre 1999 et 2013 est stable, les expositions aux solvants ont diminué,
parfois de façon très importante.
Pour les expositions aux solvants oxygénés en 2013, les salariés des
services personnels sont les plus exposés (61.5%), suivis des secteurs de la
santé et de l'action sociale (38.2%, moins 16% par rapport à 2013), du commerce
et de la réparation automobiles (34.6%), des services domestiques (31.9%, en
diminution de 30% par rapport à 1999) et de l'industrie chimique (23.9%).
En 2013, les expositions aux solvants pétroliers concernent au premier
plan le secteur du commerce et de la réparation automobile (40.7%, avec une
diminution de14% par rapport à 1999), suivi des secteurs des transports
terrestres (27%, stable par rapport à 1999), de la construction (16.7%), de
l'édition, de l'imprimerie et de la reproduction (16.7%, en diminution de 13%
par rapport à 1999), de la fabrication de meubles et d'industries diverses).
Pour les solvants chlorés, en 2013, les principaux secteurs d'activité
exposés sont l'industrie du caoutchouc (4.7%), les services personnels (2.8%,
avec des expositions en chute de 53%), le commerce et la réparation automobile
(2.7%), la recherche et le développement (1.8%) et l'industrie chimique (1.1%).
L'enquête Sumer de 2010 a aussi noté une diminution du nombre de
travailleurs exposés à certains solvants entre 2003 et 2010, ainsi l'exposition
au perchloroéthylène a diminué de 40% et celle au trichloroéthylène de 60%
Discussion/conclusion
Les résultats de cette étude, représentative de la quasi-totalité de la
population des travailleurs, montrent une diminution globale des expositions
aux différents solvants pris en compte dans l'étude. Cependant, il demeure un
nombre important de sujets exposés à ces produits : 3 045 240 aux solvants
oxygénés, 1 403 176 aux solvants pétroliers et 59 544 aux solvants chlorés.
Sans compter que l'on peut rencontrer des polyexpositions à ces trois
catégories de solvants qui touchent 30 831 personnes.
Parmi les produits pris en compte, certains sont cancérogènes, mutagènes
ou reprotoxiques. Pour les solvants chlorés, le trichloroéthylène (cancérogène
avéré pour le Circ et mutagène probable pour la CLP - le règlement CLP, "Classification, labelling and
packaging", désigne le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement
européen relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances
chimiques et des mélanges), du perchloroéthylène et du chlorure de méthylène
cancérogènes possibles pour la CLP et probables pour le Circ) et du chloroforme
(cancérogène possible pour les deux instances et reprotoxique possible pour la
CLP).
Parmi les solvants oxygénés, certaines cétones sont CMR, la
méthylisobutylcétone (cancérogène possible Circ), la méthylbutylcétone (reprotoxique
possible CLP).
Parmi, les solvants pétroliers, le benzène est classé cancérogène avéré
par le Circ et mutagène probable par la CLP, de même que certains composants
des carburants ou du white spirit et des coupes aromatiques légères.
Pour les auteurs, " Cette
étude, réalisée sur l’ensemble de la population au travail en France, apporte
un éclairage nouveau sur les expositions professionnelles et sur leurs
évolutions depuis le début des années 2000.
L’analyse de ces résultats non
seulement par secteur, mais aussi par profession, permettrait de mettre en
évidence les travailleurs actuellement les plus exposés à ces solvants, dont
certains sont suspectés voire identifiés comme cancérogène, mutagène ou reprotoxique.
Cette description détaillée offre ainsi la possibilité de connaître les
secteurs ou les groupes professionnels les plus à risque d’exposition et aide à
définir les cibles prioritaires en terme de prévention des risques
professionnels. "
Expositions professionnelles à des agents cancérogènes
respiratoires
Cet article de ce numéro du BEH, signé par Mme N. Fréry et al., est intitulé
" Expositions professionnelles à des
agents cancérogènes respiratoires chez les salariés en 2010 "
Introduction
En 2012, 28 000 nouveaux cas de cancers pulmonaires ont été
diagnostiqués. C'est, chez l'homme, le cancer le plus fréquent et la première
cause de mortalité en France avec environ 21 000 décès annuels. Chez la femme,
l'incidence du cancer broncho-pulmon aire
et sa mortalité ont fortement augmenté avec une incidence de 11 000 cas et la
survenue de 8500 décès en 2012. La majorité des cancers professionnels
identifiés sont des cancers broncho-pulmonaires. Le nombre de cas de cancers
broncho-pulmonaires reconnus en maladie professionnelle est très largement
sous-estimé.
Les cancers broncho-pulmonaires indemnisés en tant que maladie
professionnelle sont à 90% liés à l'amiante, au benzène, aux rayonnements
ionisants et aux poussières de bois.
Ceci avec une exposition, en 2010, de 10% des travailleurs exposés à des
produits chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.
[NDR - Le rapport sur la "
Projection de l'incidence et de la mortalité par cancer en France
métropolitaine en 2017 " publié en décembre 2017 estime une incidence de
32 500 cancers pulmonaires chez l'homme et 17 000 chez la femme avec un nombre
de décès respectif de 21 000 et 10 000.]
Méthode
Les données de cette étude résultent de l'enquête Sumer. Les cancérogènes
respiratoires pris en compte, outre les radiations ionisantes, sont 15
cancérogènes chimiques : les fumées, gaz et produits de combustion (fumées de
vulcanisation, dégagées par les procédés de métallurgie, les émissions des
moteurs diésel et les goudrons de houille et dérivés, le bitume et les brais de
pétrole), les métaux (arsenic, carbures métalliques frittés, cadmium, chrome
hexavalent, cobalt et nickel), les poussières minérales et les fibres (amiante,
fibres céramiques réfractaires et silice cristalline), les poussières de bois
et le formaldéhyde.
L'objet de cette étude est de quantifier le nombre de travailleurs soumis
à des expositions et à des multi-expositions à des cancérogènes respiratoires.
Résultats
Expositions
et multi-expositions
En 2010, lors de la dernière semaine travaillée, 1 935 659 travailleurs
sont exposés à au moins un cancérogène respiratoire, incluant les rayonnements
ionisants, (soit 9% de la population), soit 1 669 829 hommes (14.1%) et 265 831
femmes (2.7%). Un nombre de 125 516 travailleurs (0.6%) est exposé à au moins
trois cancérogènes respiratoires, 112 313 hommes (1.0%) et 13 203 femmes
(0.1%).
L'exposition aux rayonnements ionisants concerne 258 939 sujets (1.2%),
soit 135 878 hommes (1.1%) et 123 061 femmes (1.3%).
L'exposition à au moins un cancérogène chimique concerne 8% de la
population (13.1% des hommes et 1.7%) des femmes. Et la multi-exposition à au
moins trois cancérogènes chimiques touche 0.6% de la population, 0.9% des
hommes et 0.1% des femmes.
L'exposition à au moins un cancérogène de la sphère ORL concerne 689 555
sujets, soit 3.2% de la population, 4.9% des hommes et 1.2% des femmes.
Proportionnellement, les femmes sont plus exposées que les hommes aux
rayonnements ionisants alors que les hommes sont plus exposés aux cancérogènes
chimiques.
Protections
Seulement 22% des 2 303 800 situations d'exposition à un cancérogène
chimique respiratoire sont munies d'une protection collective (aspiration à la
source, vase clos). Cette protection collective était absente dans 35% des cas,
inadaptée dans 17.5% des cas (une simple ventilation) et absence de réponse
dans 25% des cas. Dans 37.6% des cas, il y avait mise à disposition d'une
protection individuelle. Au total, dans un tiers des cas, il n'y avait ni
protection collective ni protection individuelle.
Expositions
aux différents cancérogènes selon les secteurs d'activité
Pour les hommes, les secteurs d'activité entraînant le plus grand nombre
de sujets exposés à au moins un cancérogène respiratoire sont la construction
(25.1%), le commerce et la réparation d’automobiles et de motocycles (16.3%),
le transport et l'entreposage (8.7%) et l'administration publique (à noter,
32.3% d'hommes exposés dans d'autres secteurs regroupant diverses activités).
Au sein de ces secteurs, la proportion la plus élevée de salariés exposés
à un cancérogène respiratoire se retrouve dans la construction (31.2%), la
métallurgie (28%), les industries manufacturières (26.9%), la recherche (26.4%)
et le travail du bois (24%).
L'exposition à un cancérogène strictement broncho-pulmonaire retrouve
sensiblement les mêmes secteurs avec la construction qui concentre 22.5% des
salariés exposés, suivie de la réparation automobile (17.7%) et le transport
(10.5%).
Une majorité de 70% des ouvriers de la réparation automobile était
exposée à un cancérogène broncho-pulmonaire et 36% de ceux du gros œuvre du
BTP.
Près d'un tiers des salariés exposés à un cancérogène de la sphère ORL
travaillaient dans la construction. Les secteurs du transport et de
l'entreposage et celui de la réparation automobile représentaient
respectivement 3.6% et 8% des salariés exposés à un cancérogène ORL. Il faut
noter un taux de 6.4% de salariés exposés à ces cancérogènes dans la santé, de
6% dans les industries manufacturières et de 5.6% dans travail du bois, de
l'industrie du papier et de l'imprimerie.
Les femmes représentaient 14% des salariés exposés à un cancérogène
respiratoire. Elles travaillaient, pour 40.8% dans le secteur de la santé
humaine, pour 7.5% dans les services (coiffeuses, esthéticiennes) et le
transport et l'entreposage, et pour 7.1% d'entre elles dans le commerce et la
réparation automobile. A noter que près d'un tiers de ces femmes exposées
(31.6%) travaillent dans d'autres secteurs.
Le secteur le plus exposant, touchant 20% des salariées exposées à un
cancérogène respiratoire, est celui de la recherche et du développement
scientifique, alors qu'il ne représente que 5.5% des femmes exposées à au moins
un cancérogène.
Les salariées exposées aux cancérogènes broncho-pulmonaire et ORL
travaillaient à près de 50% dans le secteur de la santé
Discussion
Les cancers respiratoires sont les plus fréquents des cancers
professionnels reconnus. Ils représentent, en 2016, 1500 des 1778 cancers
professionnels.
Les substances chimiques et les radiations ionisantes sont des causes
connues de cancers respiratoires d'origine professionnelle. Les effets
cancérogènes étant en général sans seuil de dose, il importe d'éviter toutes
les expositions, même minimes. D'où l'importance du repérage des expositions.
Cette étude montre qu'un effectif assez conséquent d'hommes est exposé à
un cancérogène, surtout dans les secteurs de la construction et de la
réparation automobile, exposition à des cancérogènes notamment broncho-pulmonaires
liés aux émissions de moteur diésel et à la silice cristalline ainsi que de la
sphère ORL, pour les poussières de bois et le formaldéhyde.
Il y a environ 800 000 salariés exposés aux émissions diésel, 295 000 à
la silice cristalline, 370 000 aux poussières de bois et 140 000 au
formaldéhyde présent, pour ce dernier, dans les panneaux de particules
agglomérées, les moquettes et les peintures.
On peut aussi constater que les protections collectives et individuelles
sont insuffisantes, notamment lors de postes de travail mobiles sur les
chantiers.
Les femmes exposées à des cancérogènes respiratoires travaillent
majoritairement dans le secteur de la santé où elles sont exposées à des
cancérogènes chimiques tels que les cytostatiques et le formaldéhyde et aux
radiations ionisantes. L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
indique que 62% des sujets suivis par dosimétrie externe passive, en 2010,
travaillent dans le secteur de la santé. Or ce secteur est très féminisé : les
métiers d'infirmiers, sages-femmes et aides-soignants sont à 87% occupés par
des femmes. Ceci explique une exposition aux rayonnements ionisants plus
importante chez les femmes.
Le secteur de la recherche et du développement scientifique, bien que
représentant un effectif limité, est particulièrement exposant pour les femmes,
notamment aux rayonnements ionisants et au formaldéhyde. Néanmoins, il ne faut
pas surestimer le risque de cancer respiratoire par exposition aux radiations
ionisantes dans le secteur de la santé.
Conclusion
" Cette étude a permis de
quantifier un effectif important de salariés exposés à des cancérogènes
respiratoires en France. Si, chez les hommes, les secteurs de la construction,
de la réparation automobile ainsi que du transport et de l’entreposage sont
prépondérants et impliquent essentiellement des agents chimiques, chez les
femmes, l’exposition se concentre dans le secteur de la santé où sont présents
les rayonnements ionisants en plus des agents chimiques. Ce résultat doit être
nuancé par l’utilisation de protections collectives et/ou individuelles,
parfois inexistantes ; la prévention, dans le cadre de contaminants
atmosphériques, doit en particulier être centrée sur l’aspiration à la source
ou le travail en vase clos. L’information sur les protections (présence,
utilisation, adaptée ou non) nécessite d’être complétée pour assurer une
meilleure prévention et constitue un véritable enjeu pour la santé des
travailleurs. La nouvelle enquête Sumer de 2017, qui sera bientôt disponible,
permettra d’actualiser et d’étudier l’évolution des expositions professionnelles
aux cancérogènes. "
http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/12-13/pdf/2018_12-13.pdf
A suivre… dans
deux semaines…
Jacques Darmon
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